Takashi Murakami et l’esthétique Superflat : entre kitsch et kawaii

Mon coup de coeur du mois de janvier est l’artiste japonais majeur de l’art contemporain, Takashi Murakami, vivant et travaillant à Tokyo, dans son studio Kaikai Kiki Co., Ltd., qu’il a lui-même fondé. Il est reconnu pour son univers visuel coloré, pop et hybride, qui mêle culture otaku, tradition japonaise et esthétique occidentale. À la fois peintre, sculpteur, entrepreneur, théoricien et producteur culturel, Murakami brouille les frontières entre art « élevé » et culture populaire.

Je connaissais déjà cet artiste, notamment ses « smiling flowers », mais c’est lors de son exposition Japanese Art History à la Takashi Murakami à la galerie Gagosian de Londres que j’ai vraiment apprécié son travail.

Style et univers artistique

Murakami a inventé le concept de Superflat, une esthétique qui efface les distinctions entre haute culture et culture populaire, en s’inspirant de l’art japonais traditionnel (rouleaux, estampes) autant que des mangas, animés et produits dérivés. Ses œuvres regorgent de ses fameuses fleurs souriantes, champignons, crânes, personnages enfantins ou mutants, souvent très colorés et plats dans leur rendu. Il fusionne l’héritage du nihonga (peinture traditionnelle japonaise) avec l’influence du pop art américain, notamment Andy Warhol et Jeff Koons. Comme Warhol, il multiplie les motifs en série, joue sur la reproduction industrielle et collabore avec le monde du luxe.

Thématiques explorées

  • Murakami revendique une vision assumée de l’art comme produit, explorant la frontière entre commerce et création artistique.
  • Il réfléchit aux traumatismes historiques du Japon, notamment la guerre, les bombardements nucléaires et l’ère post-Hiroshima, à travers une esthétique colorée mais hantée.
  • Derrière le côté « cute », on trouve des figures grotesques, des formes hybrides, des références au bouddhisme ou à l’angoisse postmoderne.

Autour de l’exposition

Les oeuvres présente dans l’exposition sont de très grands formats et foisonnent de détails. C’est ce qui m’a le plus captivé ; chercher parmi la profusion de motifs les petits détails dissimulés, ici et là. Parfois, ceux-ci sont comiques ou mignons comme une fleur souriante géante qui salue, un petit singe sur le sommet d’un arbre, deux chats qui s’affrontent dans une lutte d’art martial, un chat qui marche comme un humain ou encore un chiot couché sur un autre.

En regardant de près les oeuvres de Murakami, on aperçoit des effets texturés, métalliques ou en relief. Pour obtenir ces rendus, il utilise de la laque, des dorures et des feuilles d’or, inspirées du nihonga ou de la tradition Rinpa japonaise.

Le travail de Takashi Murakami est aussi riche dans sa technique que dans son univers visuel. Il commence souvent par esquisser ses idées à la main, mais très vite il les transforme en illustrations vectorielles, grâce à des logiciels comme Adobe Illustrator. Il utilise le dessin numérique pour créer des formes précises, plates, nettes — essentielles à son esthétique “Superflat”. Une fois le design validé numériquement, ses assistants transposent les fichiers numériques sur des toiles à l’aide de pochoirs, projecteurs ou impressions de base, puis peignent à la main chaque détail.

Pour la finition, celle-ci est faite avec de la résine ou du gel brillant pour accentuer l’aspect pop. Il utilise aussi parfois l’impression UV sur toile pour un effet ultra-lisse, puis des couches de vernis ou de peinture épaisse pour apporter du relief. Le résultat donne des œuvres qui semblent imprimées ou numériques, mais qui révèlent des couches complexes, des reflets, voire des textures sensorielles.

Les Quatre Symboles (Four Symbols)
Parmi les oeuvres présentées dans l’exposition, Murakami revisite les gardiens mythologiques de Kyoto (Tortue Noire, Dragon Bleu, Oiseau Vermillon, Tigre Blanc), en les associant à des lieux contemporains de la ville. Il combine croquis manuels, images générées par IA et éléments de ses œuvres précédentes pour créer ces compositions.

Kaikai Kiki Style “Karajishi-zu Byōbu”

Cette oeuvre est directement inspirée des lions chinois de Kanō Eitoku.

Finalement, à travers son concept du « Superflat », Murakami déconstruit les hiérarchies entre art « noble » et culture populaire, en intégrant des références au manga, à l’animé et à l’art bouddhique dans des compositions saturées, colorées et visuellement percutantes.

Son exposition Japanese Art History à la Takashi Murakami à la galerie Gagosian illustre parfaitement cette démarche : il y revisite des chefs-d’œuvre de l’art japonais ancien en les hybridant avec des procédés numériques contemporains, des images générées par intelligence artificielle et des motifs récurrents comme les fleurs souriantes ou Mr. DOB. En cela, Murakami ne se contente pas d’un simple hommage à l’histoire de l’art japonais, il la réactive dans une esthétique actuelle et mondialisée.


2 réflexions sur “Takashi Murakami et l’esthétique Superflat : entre kitsch et kawaii

  1. Merci pour cette analyse éclairante de l’univers de Takashi Murakami. Vous mettez en lumière la richesse de son esthétique Superflat, où le kitsch et le kawaii masquent des réflexions profondes sur l’histoire et la culture japonaises. L’équilibre entre tradition et modernité, ainsi que la fusion entre art et commerce, sont particulièrement bien expliqués. Une lecture captivante qui donne envie d’explorer davantage son œuvre. 

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