
Ce mois de septembre a eu un goût particulier, presque comme une parenthèse entre introspection et ouverture. Mon séjour à New York a été l’occasion d’un véritable bain d’art et d’histoire : j’ai arpenté les musées, les galeries, les rues saturées d’images et de sons — mais c’est surtout la visite du National Museum of African American History and Culture à Washington qui m’a le plus marquée. Ce musée est sans doute le plus beau que j’aie vu, autant pour la richesse de ses collections que pour l’émotion qu’il provoque. On y ressent à la fois la douleur et la puissance d’une mémoire collective.
Cette sensibilité m’a également accompagnée dans mes lectures et mes visionnages. Le recueil Friday Black de Nana Kwame Adjei-Brenyah et le court-métrage Two Distant Strangers ont tous deux prolongé ce fil rouge : celui d’une Amérique hantée par ses violences, mais traversée d’une créativité, d’une ironie et d’une résistance incroyables. C’est un mois où chaque œuvre, chaque lieu, semblait dialoguer avec les autres — un mois où regarder, lire et voyager revenait à observer les mêmes questions se rejouer sous des formes différentes : comment raconter la répétition, la mémoire, la survie ?
Films
Two Distant Strangers (Travon Free & Martin Desmond Roe, États-Unis, 2021)

Je suis tombée ce mois-ci sur le court-métrage Two Distant Strangers, disponible sur Netflix. Malgré sa durée — à peine une trentaine de minutes — il reste l’un de ces films qui s’impriment durablement dans la mémoire.
Le récit suit Carter James, un jeune homme noir new-yorkais (interprété par Joey Bada$$) qui tente simplement de rentrer chez lui pour retrouver son chien. Mais à chaque tentative, il se heurte au même destin : une rencontre violente avec un policier blanc, Merk (Andrew Howard), qui se conclut inévitablement par sa mort. Carter se réveille ensuite, encore et encore, dans le lit où la journée avait commencé, condamné à revivre inlassablement la même tragédie.
Cette structure en boucle temporelle, qu’on a déjà croisée dans des films de comédie comme Un jour sans fin (Groundhog Day), ou dans des versions plus sombres comme Happy Birthdead ou Poupée Russe, est ici détournée pour évoquer une tout autre forme de cauchemar : celui du racisme systémique et de la brutalité policière, en faisant référence notamment aux événements tragiques tels que la mort de George Floyd en 2020 ou Eric Garner en 2014 avec le tristement célèbre « I can’t breathe » (une histoire qui se répète donc). Là où, dans ces autres récits, la répétition ouvre souvent la voie à une transformation ou à une rédemption, Two Distant Strangers laisse peu d’espace à l’espoir.
Le plot twist — la révélation que même lorsque Carter tente de faire les choses différemment, la fin reste la même — souligne une sorte de fatalité tragique. Comme si le film disait : peu importe les efforts, les gestes, la bienveillance ou la prudence, rien ne change vraiment tant que les mentalités, elles, demeurent figées — « it don’t matter what I say or what I do or how I try to do it, this dude just wanna… He just wanna kill me ». C’est une manière saisissante d’illustrer non seulement l’absurdité et la répétition de ces violences mais également de rendre visible l’épuisement, la peur, la lassitude d’une communauté constamment prise dans ce cycle sans fin.
Et pourtant, la toute fin ouvre une fissure. Carter affirme qu’il finira par trouver comment y remédier. Que peu importe le temps que cela prendra, ou le nombre de fois qu’il devra revivre cette journée, il finira par rentrer chez lui retrouver son chien. Ces mots, à la fois simples et bouleversants, sonnent comme une promesse — celle d’une résilience inébranlable, d’une détermination collective face à la violence et à l’injustice. On peut y lire la capacité de la communauté noire à continuer de lutter, encore et encore, à transformer la répétition du traumatisme en persévérance. Mais cette conclusion peut aussi être interrogée : est-ce un signe d’espoir réel ou une utopie douloureuse, presque ironique, dans un monde où la boucle ne cesse de recommencer ? Le film laisse cette ambiguïté ouverte, suspendue entre le désespoir et la foi en un changement toujours à venir.
Oscarisé en 2021, Two Distant Strangers parvient, en une demi-heure à peine, à condenser ce sentiment d’étouffement collectif. C’est un court-métrage à la fois percutant et dérangeant, qui utilise un procédé narratif familier pour mieux faire ressentir l’absurdité et la cruauté d’une réalité bien trop quotidienne.
Aussi vus
- La Voix de Makayla : Lettres au monde (Julio Palacio, États-Unis, 2024)
- Lead Me Home (Pedro Kos & Jon Shenk, États-Unis, 2021)
- 13th (Ava Duvernay, États-Unis, 2016)
- Contours (Aisha Amin, États-Unis, 2024)
Lectures
Friday Black (Nana Kwame Adjei-Brenyah, 2018)
Le livre du mois est Friday Black de Nana Kwame Adjei-Brenyah, un recueil de nouvelles dont certaines m’ont complètement happée. Chaque texte plonge dans un univers à la fois violent, absurde et terriblement lucide sur l’Amérique contemporaine — ses dérives raciales, sa consommation frénétique, sa banalisation de la violence.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’aspect dystopique et futuriste de certaines nouvelles, qui m’ont rappelé la série Black Mirror, notamment L’ère et Zimmer Land. Adjei-Brenyah pousse les réalités sociales et morales jusqu’à leurs extrêmes, jusqu’à ce point où la satire devient presque prophétique. Dans The Finkelstein 5, par exemple, le racisme prend la forme d’une justice démente ; dans Friday Black, la société de consommation devient une apocalypse joyeusement barbare. J’ai adoré la manière dont ces mondes fictifs, parfois délirants, restent toujours connectés à notre quotidien comme si l’auteur tendait un miroir légèrement déformant à notre époque.
Attention, dûs aux sujets lourds abordés tels que la violence, le racisme systémique, la brutalité policière ou encore la déshumanisation, certaines nouvelles peuvent être vraiment dures — soyez prévenu·e.
Aussi lus
- Black Nature. Four Centuries of African American Nature Poetry – The University of Georgia Press
- Long Way Down – Jason Reynolds
Expositions
Comme mentionné plutôt, ce mois de septembre a été un mois très spécial car pour la première fois je suis allée (toute seule) aux États-Unis, à New York plus précisément. Ce fut donc un mois très riche culturellement parlant avec beaucoup d’expositions visitées en musées et en galeries. Il m’est difficile de dire quel musée new-yorkais j’ai préféré entre le MET, MoMA, R. Solomon Guggenheim, Brooklyn Museum et Whitney Museum toutefois, je peux sans hésiter affirmer que j’ai visité le plus beau musée de ma vie jusqu’à présent, tant en terme de son contenu que de sa scénographie et de ses dispositifs — il s’agit du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines (NMAAHC) à Washington, D.C. Ce musée immense et incroyable avec un contenu si riche, mérite bien sûr un article complet à lui seul, qui paraîtra ultérieurement. En attendant, voici une (toute) petite sélection d’œuvres que j’ai pu voir lors de mon séjour.
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