
Je me souviens très bien de la première fois que j’ai acheté mon fer à lisser à l’âge de 12 ans. C’était presque comme une consécration. Les heures et les heures passées devant le miroir à se lisser les cheveux, traquant le moindre frisottis et priant pour qu’il ne pleuve pas ou ne fasse pas humide, c’est une chose que je connais bien.
Alors forcément, Nappily Ever After (Haifaa Al-Mansour, 2018), je ne l’ai pas regardé comme une simple comédie romantique.
Le film suit Violet (interprétée par Sanaa Lathan), une femme noire « parfaite » : cheveux lisses, job soigné, copain médecin, routine bien huilée. Mais tout ça s’effondre le jour où elle réalise qu’elle ne vit pas vraiment. Et dans un geste brutal et libérateur, elle prend une tondeuse et se rase le crâne. Ce moment-là, c’est le vrai début de l’histoire. Pas celui d’une nouvelle coupe, mais celui d’une déconstruction.
Adapté du roman de Trisha R. Thomas, Nappily Ever After s’ouvre comme une comédie romantique plutôt classique. Mais très vite, sous le vernis, le film dévoile autre chose : une critique douce-amère de la perfection imposée aux femmes noires, et en particulier de l’obsession capillaire. Car si les cheveux sont souvent perçus comme un détail esthétique dans les comédies romantiques blanches, ici, ils sont au centre de l’enjeu identitaire.
Quand les cheveux racontent autre chose
Ce que j’ai aimé dans ce film, c’est qu’il dit tout haut ce que beaucoup vivent en silence : pour une femme noire, les cheveux ne sont jamais neutres. Ils sont politiques, sociaux, culturels. Violet ne porte pas seulement une perruque ou des cheveux lissés : elle porte des attentes. Celles de sa mère, stricte, obsédée par l’apparence : dès l’enfance, elle est brossée, lissée, corrigée. Le message est clair : pour être acceptée, aimée, respectable, une femme noire doit se présenter sous sa meilleure version – c’est-à-dire lissée, maquillée, conforme aux standards de beauté blancs. A force d’entendre des : « Tu serais plus jolie avec les cheveux raides » ou « Tu ne veux pas les attacher ? Ça fait un peu fou, là. », on finit par intégrer ces remarques, comme si elles faisaient partie de notre éducation. On apprend à se lisser, au propre comme au figuré. Le film montre avec finesse à quel point cette construction commence tôt, s’entretient au quotidien, et finit par devenir un carcan. Les scènes de soin capillaire (le brushing brûlant, les séances de défrisage, les perruques) deviennent autant de rituels de contrôle.
En cela, le film rejoint un ensemble d’œuvres culturelles – de Good Hair (Chris Rock, 2009) à Hair Love (Matthew A. Cherry, 2019) – qui rappellent que les cheveux des femmes noires ne sont jamais « juste » des cheveux. Ils sont scrutés, jugés, moqués, fétichisés. Refuser de les lisser, c’est poser un acte subversif.
Dans le film, la scène où Violet se rase la tête est un coup de poing. Elle se regarde dans le miroir, nue, fragile, et on sent qu’elle ne sait plus qui elle est. Ce n’est pas une libération joyeuse et immédiate. C’est une chute lente, mais nécessaire. Une perte de repères avant un nouveau recommencement, une renaissance.

Une esthétique lisse pour un propos rugueux
Visuellement, le film ne casse pas les codes. Il reste plutôt classique, très « Netflix » dans l’esthétique. Mais peut-être que c’est justement ça, le contraste intéressant : sous le vernis « feel good », il y a un vrai malaise. Une tension entre l’image qu’on donne et celle qu’on tait.
La scène qui sort du lot est celle, bouleversante, où Violet se regarde dans le miroir après s’être rasée, filmée dans un silence progressif, presque sacré. Son crâne nu, son regard nu : c’est une scène d’exposition, au sens le plus fort du terme. Ce n’est pas la nudité physique qui est frappante, mais la nudité sociale. Le film ne cherche pas à choquer, mais à faire réfléchir doucement, à glisser un trouble dans une histoire qu’on croit connaître. En parlant d’injonctions violentes avec un ton tendre, le film rend le propos accessible à un public large, y compris à ceux et celles qui ne connaissent pas ces réalités.
Le film aurait pu tomber dans le cliché du « glow-up » superficiel – l’idée qu’une femme doit se « réinventer » pour séduire à nouveau. Mais il choisit autre chose : un parcours d’intériorité. Certes, il y a des romances, des rencontres, des ruptures. Mais le vrai cœur du film est ailleurs : dans la déconstruction lente d’une image fabriquée, et dans la conquête d’une liberté à laquelle Violet ne croyait même plus avoir droit.

Et si le vrai « happy ending », c’était soi ?
Ce que j’attendais, c’était la fin. Est-ce qu’elle allait retomber amoureuse ? Est-ce qu’un autre homme allait la sauver, comme souvent dans les rom-coms ? J’étais persuadée de la fameuse fin cliché de la femme qui tombe dans les bras de son « prince charmant ». Eh bien non (Surprise !). Et ça, ça m’a vraiment plus.
Parce qu’à la fin, Violet se choisit elle-même. Pas une version d’elle qui plairait plus, pas une version polie. Juste elle, dans son imperfection, ses doutes, sa puissance retrouvée. En refusant de conclure sur un « happy ending » amoureux classique, le film ose un geste rare dans le genre : montrer une femme noire qui se choisit elle-même, sans avoir besoin d’un homme pour la valider. Sa libération passe par son miroir, pas par un regard masculin. Une femme qui ne sourit pas parce qu’on l’aime, mais parce qu’elle se sent enfin libre. On finit sur une femme forte, indépendante qui sait à présent ce qu’elle veut, qui s’assume et s’affirme!

Après avoir vu le film, j’ai pensé à toutes les fois où…
…je me suis demandé si je devais attacher mes cheveux pour un entretien.
…j’ai évité la pluie par peur de « ruiner » mon lissage.
…je me suis coupé les cheveux pour qu’ils paraissent moins « sauvages » et plus « soignés ».
…j’ai regardé d’autres femmes en me demandant comment elles faisaient pour assumer leur cheveux naturels et rebels ou leur crâne rasé.
Bien que le film parle depuis une expérience noire et s’adresse d’abord aux femmes noires, son message m’a profondément touchée. Je ne suis pas noire, mais j’ai passé des années à me lisser les cheveux bouclés, à vouloir « dompter » ce qui ne rentrait pas dans les cases. Se choisir soi, se plaire à soi d’abord, apprendre à se voir belle sans retoucher, c’est une révolution intérieure qui parle à bien plus de monde qu’on ne le pense. Le film touche plus largement à quelque chose d’universel : le rapport au corps, à l’image, à la conformité, au regard des autres. Et ça, beaucoup de femmes, quel que soit leur background, peuvent le ressentir.
Alors oui, c’est un film nécessaire. Un film qui parle à celles et ceux qui en ont assez de se déguiser pour entrer dans des cases. En centrant le récit sur un détail qui n’en est pas un – la coiffure – il aborde des thématiques profondes : le racisme intériorisé, la pression de la perfection, le droit d’être imparfaite, libre, naturelle. Et il rappelle que, parfois, pour reprendre sa vie en main, il faut commencer par une coupe radicale.
Et vous, quel rapport entretenez-vous avec vos cheveux ? Avez-vous déjà eu une « coupe radicale » qui a changé quelque chose en vous ?

2 réflexions sur “« Nappily Ever After » : quand se couper les cheveux, c’est se couper des injonctions”