Cinéma : Le Fish-Eye de « Rye Lane », entre humour, émotion et urbanité vibrante

Le fish-eye, ou objectif grand-angle extrême, est une technique utilisée au cinéma pour capturer des images avec un champ de vision très large, souvent jusqu’à 180 degrés ou plus. Ce type d’objectif crée une distorsion sphérique des images, donnant un effet caractéristique où les lignes droites apparaissent courbées, en particulier près des bords de l’image. Ainsi, les distances et proportions peuvent sembler exagérées.

Le fish-eye peut être utilisé pour des raisons esthétiques, émotionnelles, ou narratives :

Créer une atmosphère onirique ou étrange

La distorsion produit un effet surréaliste ou déstabilisant, souvent utilisé dans les scènes où l’on souhaite évoquer un état psychologique perturbé, un rêve ou un univers fantastique.

Refléter une subjectivité

Le fish-eye peut montrer le point de vue d’un personnage, particulièrement lorsqu’il est sous l’effet d’une substance, dans un état de confusion, ou d’exaltation. Dans Poor Things (2023) de Yorgos Lanthimos, l’utilisation de cet objectif offre une perspective unique, reflétant la vision du monde de Bella (Emma Stone), qui est à la fois vaste et déformée, symbolisant sa perception altérée et son exploration d’une réalité nouvelle.

Mettre en valeur l’espace ou l’environnement

Dans des lieux confinés, comme une pièce exiguë, le fish-eye donne une impression d’immensité, permettant au spectateur de mieux appréhender l’environnement.

Renforcer le dynamisme ou l’énergie d’une scène

Utilisé dans des clips musicaux, le fish-eye apporte une sensation de vitesse et d’intensité dans des séquences rythmées, synchronisées avec la musique.

Voir à travers l’œil de Judas (judas optique)

Le fish-eye est tout simplement utilisé lorsqu’un personnage regarde à travers l’œil de Judas. Il s’agit d’un dispositif optique conçu pour permettre à une personne à l’intérieur d’un espace fermé, comme une maison ou un appartement, de voir ce qui se passe de l’autre côté de la porte sans être vue. Il contient un ensemble de lentilles qui permettent de capturer une vue large de l’extérieur (souvent un champ de vision de 160 à 180 degrés). Ainsi, lorsqu’une personne regarde à travers l’œilleton depuis l’intérieur, cela lui offre une image déformée mais claire de ce qui se trouve devant la porte.

Autres exemples de film utilisant le fish-eye

Requiem for a Dream (2000) : Darren Aronofsky l’utilise pour intensifier la perception subjective des personnages dans leur descente aux enfers.

The Favourite (2018) : Yorgos Lanthimos emploie le fish-eye pour créer une ambiance décalée et théâtrale dans les espaces du château.

Enter the Void (2009) : Gaspar Noé utilise cette technique pour renforcer le caractère psychédélique et immersif de certaines séquences.

La cas de Rye Lane

Rye Lane (2023) est une comédie romantique britannique réalisée par Raine Allen-Miller. Ce film se distingue par sa fraîcheur et son énergie, explorant des thèmes comme la rupture, la guérison et la possibilité de nouvelles connexions. Dans cette comédie moderne, l’humour résolument britannique et les dialogues pleins de spontanéité ajoutent à son charme.

L’histoire suit Dom (David Jonsson) et Yas (Vivian Oparah), deux jeunes Londoniens qui se rencontrent par hasard lors d’une exposition d’art après des ruptures difficiles. Malgré leurs différences, ils passent une journée ensemble à explorer les quartiers vibrants de Peckham et Brixton, partageant leurs histoires et tissant peu à peu un lien unique.

Dans Rye Lane, l’utilisation du fish-eye et des plans déformés joue un rôle clé dans la mise en scène du récit. Ces choix stylistiques reflètent la vision audacieuse de la réalisatrice Raine Allen-Miller, et contribuent à rendre l’expérience visuelle du film unique.

Une esthétique ludique et immersive

Les plans déformés, notamment ceux réalisés avec l’objectif fish-eye, donnent au film un aspect exagéré et surréaliste. Cette technique amplifie les émotions et les situations vécues par les personnages, rendant certaines scènes plus intenses ou humoristiques. La réalisatrice utilise également des couleurs éclatantes et des scènes stylisées qui évoquent un univers joyeusement exagéré tout en restant ancré dans la réalité quotidienne​.

Symboliser la subjectivité des personnages

Ces plans expriment souvent le point de vue des protagonistes, notamment leur désorientation émotionnelle après leurs ruptures ou la manière unique dont ils perçoivent leur environnement en se découvrant l’un l’autre. Les déformations reflètent ainsi leurs états d’esprit fluctuants.

Un hommage à l’énergie urbaine du sud de Londres

Le film célèbre des lieux emblématiques comme Peckham Rye, Brockwell Park, et Rye Lane Market. En effet, à travers ces prises de vue, Allen-Miller magnifie les quartiers de Peckham et Brixton, montrant leur chaos charmant, leur vitalité et leur richesse culturelle. La distorsion visuelle souligne l’effervescence et les détails parfois absurdes de la vie quotidienne, évoquant une forme d’amour décalé pour Londres. Ces quartiers sont dépeints avec une palette visuelle vibrante, qui reflète leur diversité et leur dynamisme​.

Références visuelles

Le recours au fish-eye peut rappeler des vidéoclips musicaux ou des œuvres comme celles de Spike Lee, où cette technique sert à dynamiser l’espace visuel tout en créant une proximité avec les personnages. Dans Rye Lane, cette approche donne au film une identité visuelle moderne et mémorable.

Impact sur le spectateur

L’effet immersif et expressif des plans déformés engage le spectateur, l’invitant à ressentir pleinement les hauts et les bas émotionnels des personnages tout en profitant de l’humour et de l’étrangeté de leurs aventures dans un cadre urbain spécifique.

Finalement, le fish-eye est une technique efficace pour capturer l’attention, jouer avec la perception spatiale et émotionnelle, et enrichir la narration visuelle. Son utilisation dans les films ou les clips musicaux est un choix artistique puissant, capable d’ajouter une signature visuelle unique, et de transmettre l’émotion d’un personnage ou d’une chanson.


Laisser un commentaire