
My Days of Mercy (2017) est une romance dramatique réalisée par Tali Shalom-Ezer. Le film raconte l’histoire de Lucy Moro (interprétée par Ellen Page, maintenant connu sous le nom d’Elliot Page), une jeune femme militante contre la peine de mort, et Mercy Bromage (Kate Mara), issue d’une famille conservatrice et partisan de cette même pratique. Malgré leurs positions diamétralement opposées sur un sujet hautement émotionnel et politique, les deux femmes développent une relation romantique.
En outre, Lucy porte un lourd fardeau personnel : son père est en prison, condamné à mort pour le meurtre de sa femme (la mère de Lucy). Elle milite aux côtés de sa sœur Martha (Amy Seimetz) et de son frère Ben (Elias Koteas) pour abolir la peine capitale, tout en essayant de prouver l’innocence de son père.
Tout au long du film, des plans récurrents montrant les derniers repas des condamnés avant leur exécution apparaissent (cinq au total). Ces plans ont une portée symbolique et émotionnelle importante dans la narration que nous allons détailler.
Moments clés dans le film
Ces plans sont montrés pour ponctuer des moments clés de la narration :
- Avant les scènes d’exécution pour souligner l’inéluctabilité de la mort et son absurdité.
- Ces plans sont souvent insérés à des moments où les protagonistes, Lucy et Mercy, sont confrontées à leurs propres luttes morales et émotionnelles, notamment autour de leur relation naissante dans le contexte d’un débat éthique brûlant. Les repas évoquent le poids de la décision irréversible de la peine capitale, ce qui résonne avec les conflits internes des personnages. Ils servent à relier le public aux thèmes plus vastes de justice, de pardon, et de finalité.
- Ils servent de rappels visuels de l’horreur de la peine capitale.
- Marquent une pause contemplative pour le spectateur, l’invitant à réfléchir sur la justice, le pardon et la dignité humaine.
Analyse détaillée
Composition visuelle
Contenu des plateaux
1. Le premier plateau contient un petit-déjeuner classique américain : œufs au plat, bacon, saucisses, pancakes avec beurre et sirop, café, et des tranches de pain grillé. C’est un repas complet, riche et symboliquement « confortable ». (2’00 »)
2. Le deuxième plateau contient une pizza, un plat emblématique, accessible et populaire, souvent associé à la convivialité, au plaisir simple et aux moments partagés (fêtes, repas informels). (17’05 »)
3. Le troisième plateau comprend une côte de bœuf, des pois chiches, des légumes verts cuits, une pomme de terre au four avec du beurre, un petit pain, une part de tarte aux noix de pécan et un verre de lait. (43’23’)
4. Le quatrième plateau contient un hamburger, des frites, des crudités (laitue, tomate, oignons rouges, cornichons), du coleslaw et une boisson rouge dans un gobelet en plastique. (71’35 »)
5. Le cinquième plateau comprend une assiette de mac and cheese et de l’eau. (90’50 »)
La simplicité des repas contrastent fortement avec le contexte dans lequel il sont consommés : une exécution imminente. Ce contraste renforce l’absurdité et l’humanité poignante de ce dernier moment.

Textes informatifs
Le texte à gauche place, à chaque fois, la scène dans un contexte précis et fournit des informations : le nom de la prison et sa localisation, le nom du condamné, le crime, et sous-entend l’imminence de l’exécution.
Ainsi, nous pouvons lire dans l’ordre :
1. « Kentucky Midlands Penitentiary, Eddyville, Kentucky », Peter Brigens, meurtre d’un policier, injection létale (son mode d’exécution).
2. « Roanoke Bay, Correctional Center, Jarratt, Viriginia ». Pour Harold Lombardi, il s’agit d’un crime ambigu : il est accusé de « prise d’otages » et de « meurtre ». Ces crimes, bien que graves, laissent une marge d’interprétation : les circonstances exactes ne sont pas détaillées. Cela peut amener le spectateur à se poser des questions sur la proportionnalité de la peine capitale dans son cas.
3. La scène se déroule au « Meramec River Correctional Facility, Washington County, Missouri ». Le condamné, Marlon Rivers, est accusé de « quatre cas de meurtre au premier degré ».
4. « Alpharette Prison, Jackson, Georgia », Freddy Swanson, deux meurtres au premier degré.
5. « Sandusky Wood State Penitentiary, Sandusky, Ohio », Simon Moro, un meurtre au premier degré.
Cette froideur factuelle contraste avec l’humanité et la banalité du repas, soulignant une déconnexion entre la procédure administrative et la vie humaine derrière cette sentence.

Mise en scène : Couleurs, cadre et éclairage
Les cinq plateaux sont parfaitement centrés, suggérant une attention méticuleuse et une uniformité, presque bureaucratique, qui évoque le protocole rigide de la peine de mort.
La neutralité du décor (arrière-plan sans distraction, table métallique) évoque l’environnement stérile et impersonnel de la prison. Cela amplifie le contraste entre l’humanité du dernier repas et la froideur du système judiciaire. Cette ambiance sombre et clinique, en rappellent la proximité de la mort.
Le plateau et l’assiette rouge de la pizza (2) et du burger (4) attirent immédiatement le regard, évoquant potentiellement le danger, la violence ou le sang. Ce choix de couleur n’est probablement pas anodin dans le contexte d’une histoire traitant de crimes graves et de la peine capitale.
La pizza est soigneusement placée au centre, découpée en parts égales. Cette organisation presque mécanique reflète l’aspect méthodique et déshumanisant du processus d’exécution. Chaque condamné est réduit à un plateau, une localisation et une liste de crimes.
Le choix du plateau compartimenté de Rivers (3) évoque immédiatement un environnement institutionnel et carcéral. Ainsi, cela crée une rupture stylistique avec les présentations précédentes. Ce plateau rappelle les repas servis dans des cantines, accentuant l’idée de standardisation et de contrôle.
Les tons terreux (marron, beige, vert) dominent l’image, évoquant la simplicité, mais aussi une certaine lourdeur. Ces couleurs renforcent la gravité de la scène, soulignant l’idée d’un dernier repas dépourvu d’éclat ou de joie. Cette austérité place l’accent sur l’élément principal : la nourriture elle-même.
L’austérité des teintes neutres et monotones reflète un sentiment d’abandon et de résignation, sans éclat ni vitalité. Le vide autour du plat accentue le caractère solitaire et définitif de cet instant. Le condamné est seul face à la justice, isolé dans son expérience.
Dans chaque plan, l’éclairage est uniforme. L’absence d’ombres marquées ou de lumière dramatique suggère une neutralité intentionnelle. Le spectateur est invité à observer le plateau avec objectivité, même si l’identité de Simon, par exemple, le rend impossible à ignorer émotionnellement.

Symbolisme et interprétation
Le choix du dernier repas
Ces choix spécifiques de dernier repas peuvent refléter plusieurs interprétations :
Un dernier instant de normalité : La plupart des repas sont typiquement associé à des « dîners américains », un choix banal mais chargé culturellement, évoquant une certaine nostalgie ou confort. Le condamné semble vouloir goûter un moment « ordinaire » avant un événement extraordinairement brutal : sa propre exécution.
Un refus de dramatique ou de luxueux : Contrairement à des repas plus élaborés, ce choix pourrait symboliser une sorte d’indifférence ou un désir de rester simple face à une situation complexe.
Un paradoxe : Alors que la pizza, par exemple, évoque des instants chaleureux et joyeux, ici, elle est isolée sur le plateau, froide et déconnectée de tout contexte festif. Ce contraste renforce l’ironie du moment.
La présence de soda (souvent considéré comme un plaisir lié à la jeunesse ou aux moments de détente) ajoute une touche presque enfantine ou décontractée à certains plateaux. Si ce choix pourrait suggérer une tentative d’oublier la gravité de l’instant, il marque également un retour symbolique à un état d’innocence ou de pureté intérieure, en contradiction avec les crimes pour lesquels ils sont condamnés.
Abondance vs. simplicité : comparé aux autres plateaux présentés, le troisième est nettement plus chargé : steak, féculents, légumes, dessert et lait. Ce choix peut refléter une perception différente du condamné face à son dernier instant : un désir de se faire plaisir ou un besoin de s’accrocher à une certaine abondance dans un moment où tout est perdu. Ainsi, la diversité des éléments pourrait refléter une tentative de profiter une dernière fois de tout ce qui est possible. Le lait, en tant que boisson, contraste avec les choix plus typiques comme le café ou les sodas. Il est souvent associé à l’enfance, à la pureté ou à l’innocence. Cela crée un contraste poignant avec la gravité de son crime (quatre meurtres). Enfin, sur ce plateau se trouve également une tarte aux noix de pécan, un dessert typiquement américain symbolisant à la fois la tradition et le plaisir simple. En incluant un dessert, ce dernier repas semble chercher à offrir une fin « douce » et humaine à une situation tragique.
En revanche, le choix de repas de Simon Moro contraste fortement avec les autres plateaux montrés dans le film, souvent plus variés et plus riches. La simplicité du mac and cheese évoque plusieurs idées :
Humilité et résignation : Simon Moro ne cherche pas de complexité ou de luxe dans ses derniers instants. Ce choix peut refléter son état d’esprit : une acceptation silencieuse de son sort.
Une absence de revendication : Là où d’autres pourraient utiliser leur dernier repas pour affirmer une individualité ou une provocation, Simon reste sobre et effacé, à l’image de son rôle dans l’histoire de Lucy : un homme qui accepte son destin.
Le film joue ici sur l’anonymat partiel du personnage : il est à la fois un individu unique (son choix de repas le distingue) et un symbole d’un condamné parmi d’autres.
Ces choix reflètent une culture alimentaire moderne et globale, rendant les personnages potentiellement plus proche du spectateur. Cela les rend « plus ordinaires », ce qui accentue la tension morale : peut-on exécuter une personne qui semble aussi normale que nous ?
Symbolismes globaux du film
Humanisation des condamnés : en montrant le dernier repas du prisonnier, le film attire l’attention sur une tradition qui accorde une ultime forme de choix et de dignité à la personne condamnée. Ces images rappellent au spectateur que les prisonniers ne sont pas simplement des criminels, mais des êtres humains avec des besoins et des préférences.
Les différents repas présentés reflètent une différence de personnalité ou de perception du moment par le condamné. Ainsi, cela illustre que chaque dernier repas, bien qu’un détail, peut être porteur d’un récit personnel et d’une individualité.
Cela renforce l’idée centrale du film, qui est d’explorer la peine de mort sous un angle humain et non seulement politique.
Le paradoxe de la peine de mort : le repas évoque une ironie cruelle : on accorde un luxe symbolique à quelqu’un que l’on s’apprête à priver de sa vie. Ce paradoxe souligne l’aspect rituel et moralement complexe de la peine capitale.
De plus, ce repas, choisi par le condamné, est le dernier acte de liberté qu’il peut exercer. Pourtant, même cet acte est encadré par le système carcéral, qui enregistre, surveille et exécute chaque étape.
Un moment suspendu dans le temps : ce dernier repas, immobile et parfaitement présenté, symbolise un moment où tout semble figé. Il se situe entre la vie et la mort, la routine et l’exceptionnel. Ce repas devient un symbole de la transition entre ces deux états.

Importance narrative et émotionnelle
La banalité apparente du repas est imprégnée de tristesse, car il représente la dernière action normale qu’une personne peut accomplir avant une mort orchestrée.
Ce contraste (banalité/gravité) renforce l’idée que même dans des circonstances extrêmes, les aspects les plus ordinaires de la vie continuent à exister. Cela ajoute une couche de réalisme poignant et met en lumière l’absurdité de la situation : une décision si monumentale côtoie des choix aussi triviaux qu’un dernier menu.
Le plan, qui présente le plateau-repas final de Simon Moro (le père de Lucy, la protagoniste), se distingue des autres par le contexte narratif et émotionnel. Contrairement aux autres condamnés, dont nous ne connaissons que les crimes listés et les plateaux repas, Simon Moro est un personnage central, lié intimement à l’histoire et aux dilemmes moraux de Lucy. Cette particularité enrichit la scène d’une dimension personnelle et dramatique.
Tandis que les autres plateaux peuvent être perçus comme des symboles de l’anonymat et de la standardisation des condamnés, celui de Simon est inévitablement empreint de son humanité. Pour Lucy, ce n’est pas simplement un « dernier repas » : c’est une perte personnelle. En effet, Simon Moro est plus qu’un simple condamné. Il est la raison pour laquelle Lucy est engagée dans la lutte contre la peine de mort.
Coupure entre l’homme et le père : l’objectivité froide de ce plan contraste avec les souvenirs et les interactions que Lucy a eus avec son père. Le plateau dépouille Simon de son identité de père pour en faire un condamné comme les autres, soulignant la manière dont le système pénal réduit les individus à leurs actes et non à leurs relations.
De plus, les bruits standards de prison (portes, murmures) sont conservés, cela souligne l’idée que, même pour un père aimé, le système pénal reste implacable et indifférent.
Ce plateau, filmé de manière aussi objective que les autres, devient un point de rupture émotionnelle pour le spectateur. En le plaçant sur le même plan que les autres, le film interroge sur l’impartialité morale : peut-on juger son cas différemment simplement parce que nous connaissons son humanité ?

Dimension sonore des plans
L’aspect sonore des plans montrant les plateaux-repas dans My Days of Mercy joue un rôle clé dans leur signification et leur impact émotionnel. Ces bruits d’arrière-plan (souvent subtils mais lourds de sens) participent à l’atmosphère générale et à l’interprétation de ces scènes :
Portes métalliques qui se ferment : ces sons froids et mécaniques rappellent l’environnement carcéral. Ils évoquent la privation de liberté, la rigidité du système pénal et l’inéluctabilité de la sentence. Ces bruits insistent sur le fait que, malgré la relative « humanité » du dernier repas, tout se déroule dans un cadre oppressif et impersonnel.
Voix distantes ou murmures : on entend parfois des voix floues ou des discussions, souvent indistinctes. Cela pourrait refléter l’activité routinière de la prison, un contraste poignant avec le caractère unique et final de ce moment pour le condamné.
Bruits d’équipements électriques : ces bruits constants, presque monotones, peuvent illustrer l’indifférence du cadre institutionnel face à la tragédie personnelle. Le bourdonnement de fond est impersonnel, soulignant l’aspect froidement procédural de la peine de mort. Cela peut également évoquer une temporalité suspendue, où le condamné est coincé dans une sorte de limbe, à la frontière entre vie et mort.
Pas dans les couloirs : ces bruits rythmés rappellent l’attente et la proximité de l’exécution. Ils instaurent une tension sourde, comme si le spectateur pouvait ressentir le compte à rebours inexorable.
Absence de dialogue : cela met en avant le plateau lui-même, forçant le spectateur à s’interroger sur la personne derrière ce repas et sur le système qui le condamne.
Les bruits réalistes (pas, cliquetis, murmures) donnent une authenticité à ces scènes, renforçant l’idée que ces repas et ces exécutions sont des réalités tangibles, pas une simple abstraction cinématographique.
Réflexion globale
Ces plateaux soulèvent plusieurs questions sur la peine de mort et son impact
Ces plans contribuent à une réflexion globale sur la peine de mort, en mettant l’accent sur le paradoxe cruel du dernier repas : offrir un moment d’humanité à une personne sur le point de perdre définitivement la sienne. Chaque plateau nous rapproche de l’idée que derrière les crimes et les accusations se trouve une personne, avec des goûts, des souvenirs et des choix.
En plaçant le spectateur face à ce repas « anonyme », le film le met dans une position de témoin impuissant, obligé de réfléchir à la vie qui s’apprête à se terminer. Ce sentiment d’impuissance amplifie la charge émotionnelle du récit.
Ces repas pourraient être vus comme des portraits indirects des condamnés eux-mêmes, reflétant leurs goûts ou leur vision de ce dernier moment. Le spectateur peut être amené à se demander pourquoi Freddy Swanson a choisi ce repas précis : était-ce un souvenir d’enfance ? Un dernier plaisir simple avant la mort ?
Le plateau, même dans sa simplicité, est une tentative de rendre une forme de dignité au condamné. Mais cette dignité est-elle réelle, ou n’est-ce qu’une façade face à la violence symbolique de l’exécution ?
En intégrant Simon Moro dans la même série de plateaux que les autres condamnés, le film questionne l’universalité de la peine de mort. Peut-on appliquer une règle « égale » à des individus aux histoires si différentes ?
Conclusion
Ces plans sont des exemples de la manière dont My Days of Mercy utilise des éléments visuels et narratifs simples pour aborder des thèmes complexes. À travers les derniers repas, le film nous force à confronter les réalités humaines de la peine de mort, tout en nous plaçant dans une position d’observateur empathique et réfléchi.
Le dernier plateau est l’un des plus chargés émotionnellement. En tant que père de Lucy, Simon Moro n’est pas un inconnu, mais un homme dont l’histoire est profondément liée à celle de la protagoniste et du spectateur. Sa présentation visuellement froide et distante contraste avec le poids émotionnel que Lucy, et par extension le spectateur, lui attribue. Ce contraste amplifie le discours du film sur la peine de mort, explorant les tensions entre objectivité judiciaire et subjectivité humaine.
Ces plans, bien que visuellement simple, sont riche en symbolisme et en émotion. Ces choix de dernier repas rendent les condamnés à la fois unique et universel : ils sont des individus avec des préférences personnelles, mais aussi des victimes du processus déshumanisant de la peine capitale. Le contraste entre la chaleur évoquée par le repas et la froideur institutionnelle du système judiciaire souligne l’absurdité et la brutalité de ce moment, tout en continuant à questionner la moralité et l’efficacité de la peine de mort.
