
Mon coup de cœur du mois d’octobre est l’artiste américain Kehinde Wiley. Je le connaissais déjà et j’ai eu l’occasion de visiter sa dernière exposition « Fragments from the treasure house of darkness » à la Stephen Friedman Gallery de Londres (3 octobre – 9 novembre 2024).



Kehinde Wiley est un artiste contemporain renommé pour ses portraits monumentaux qui réinterprètent les traditions classiques de la peinture occidentale à travers des représentations de personnes noires. Né en 1977 à Los Angeles, Wiley est reconnu pour son travail qui explore les thèmes de l’identité, du pouvoir, de la race et de la représentation dans l’art. Il est surtout connu pour son portrait du président américain Barack Obama, commandé en 2018 pour la National Portrait Gallery à Washington, D.C.



La démarche de l’artiste :
Réinterprétation des portraits classiques : Wiley est surtout connu pour ses portraits grand format, dans lesquels il reprend la composition et les postures emblématiques des portraits européens des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Ses œuvres sont souvent inspirées de grands maîtres tels que Titien, Rubens, ou Ingres, mais à la place des figures royales ou aristocratiques blanches d’origine européenne, il y place des modèles noirs contemporains, souvent des hommes, qu’il rencontre dans la rue ou lors de castings.
Représentation des sujets noirs : Wiley se concentre principalement sur la représentation des hommes et des femmes noirs dans ses œuvres, qu’il dote de poses majestueuses et héroïques, typiquement réservées aux figures historiques blanches dans l’art occidental. Son travail est une réponse à l’absence historique de représentations de personnes noires dans les grandes œuvres de l’histoire de l’art. Ainsi, Wiley inverse les rôles traditionnels dans l’art occidental, où les corps noirs ont souvent été marginalisés ou représentés dans des positions de servitude. En plaçant ses personnes dans des postures héroïques ou impériales, il rend hommage à la dignité et à la force de ses sujets, leur conférant une aura de majesté.



Race et pouvoir : Le travail de Kehinde Wiley questionne les relations historiques de pouvoir, notamment en ce qui concerne la représentation des corps noirs dans l’art. En plaçant des Afro-Américains dans des rôles traditionnellement réservés à l’élite blanche, Wiley redéfinit les normes de pouvoir et de dignité dans la culture visuelle occidentale.
Dialogue entre passé et présent : Wiley crée un pont entre les œuvres d’art historiques et la culture contemporaine, mêlant des éléments de la mode urbaine, de la culture pop et des références historiques. Cela permet de contextualiser les questions d’identité raciale et sociale dans une continuité historique, tout en modernisant les codes traditionnels de l’art académique.
Puissance visuelle : Ses œuvres sont marquées par une utilisation vibrante des couleurs et des motifs floraux ou ornementaux qui remplissent le fond de ses toiles. Ces motifs décoratifs, souvent inspirés de tissus africains ou de références baroques, sont une signature visuelle de Wiley. Ils apportent une touche de luxe et de grandeur, tout en contrastant avec la simplicité et le naturel des postures de ses modèles.


Ses Œuvres notables :
Official Portrait of President Obama : Probablement son œuvre la plus célèbre, le portrait du Président Barack Obama (2018) pour la National Portrait Gallery est un exemple parfait du style de Wiley. Obama est représenté assis de manière décontractée sur une chaise, entouré d’un fond de feuilles et de fleurs, symbolisant des aspects de sa vie personnelle et professionnelle. Ce portrait marque une étape historique en tant que représentation du premier président noir des États-Unis par un artiste noir. L’œuvre a été saluée pour son originalité et son impact visuel.

An Economy of Grace : Cette série (2012) marque une transition importante dans le travail de Wiley, car elle présente exclusivement des portraits de femmes noires. Inspirées des portraits royaux européens du XVIIe siècle, les femmes sont représentées avec des poses majestueuses et des robes baroques. Ce projet a également inclus une collaboration avec Riccardo Tisci, directeur artistique de Givenchy à l’époque, qui a conçu les robes.






Equestrian Portrait of King Philip II (Michael Jackson) : Parmi les personnalités connues, Wiley a peint un portrait équestre de Michael Jackson, commandé par l’artiste lui-même. L’œuvre est tout simplement monumentale car elle ne mesure pas moins de 325.1 x 284.5 cm. Malheureusement, Michael Jackson nous a quitté la même année, juste avant que l’œuvre soit achevée en 2009, il n’a donc pas eu l’occasion de voir le résultat final.

Autours de l’exposition :
L’exposition que j’ai vue, à Londres, présente une série de 60 peintures inspirées des portraits miniatures historiques apparus pour la première fois dans les cours royales européennes au XVIe siècle. L’exposition s’appuie sur l’échelle et sur la manière dont elle est utilisée comme une force dans le médium de la peinture. Qu’il s’agisse des compositions imposantes des premiers peintres religieux et historiques comme Michel-Ange et Jacques-Louis David, ou des créations « performatives » surdimensionnées des expressionnistes abstraits tels que Jackson Pollock et Mark Rothko, Wiley explore la façon dont l’échelle est déployée dans l’art pour démontrer la domination et renforcer des idées de pouvoir.



Dans cette nouvelle série, Wiley renverse cette idée et s’approprie la majesté des peintures monumentales pour lesquelles il est connu, en l’appliquant à une échelle miniature. Il invite ainsi le spectateur à remettre en question ses préconceptions concernant le lien entre la taille et le pouvoir dans l’histoire de l’art. Traditionnellement, le petit est souvent perçu comme modeste, mais ici, l’artiste démontre la puissance et la prestance à travers une échelle réduite, tout en bouleversant les normes des hiérarchies de genre et de race.



Les arrière-plans richement détaillés et floraux, typiques de la pratique de Wiley, sont omniprésents dans ces œuvres – c’est d’ailleurs ce qui me plaît énormément chez cet artiste. Il puise également son inspiration dans un intérêt continu pour les textiles et un mélange de styles d’époque, notamment le rococo français et les imprimés wax néerlandais. Les motifs botaniques vibrants enchevêtrent les sujets de Wiley et évoquent la grandeur des peintures des grands maîtres à travers leurs expressions et leurs poses. L’artiste dirige le regard du spectateur dans ces peintures miniatures en utilisant des cadres ovales et rectangulaires surdimensionnés, un style visuel extrêmement populaire au XVIIIe siècle, notamment dans les portraits.



Conclusion :
Kehinde Wiley est une figure incontournable de l’art contemporain qui a réussi à ouvrir un espace pour la réinvention de la représentation des corps noirs dans l’art. Son travail défie les canons traditionnels et invite à une réflexion sur l’histoire, la race et la manière dont les représentations visuelles façonnent nos perceptions sociales. En revisitant les codes artistiques classiques à travers une lentille moderne, Wiley participe activement à une réécriture de l’histoire visuelle, tout en célébrant la diversité et la complexité des identités noires.
Je pense que soit on aime beaucoup le style de Wiley soit on n’aime pas du tout. Il est vrai que ses œuvres soient très chargées et saturées tirant sur le kitsch à la manière du rococo mais c’est justement ce que j’aime. Les motifs floraux, les couleurs, les fleurs recouvrant une partie des personnages ou s’enroulant autours d’eux confèrent une originalité et un dynamisme unique aux portraits de Wiley.
Ouvrage pour aller plus loin : Kehinde Wiley a new republic, [on the occasion of the exhibition Kehinde Wiley: A New Republic at the Brooklyn Museum, February 20 – May 24, 2015], New York: Brooklyn Museum, 2015.
Sauf mention contraire, les photographies utilisées dans cet article sont la propriété de Culturellement vôtre et ne peuvent être utilisées sans autorisation écrite.

Une réflexion sur “Kehinde Wiley : L’important n’est pas la taille mais la prestance”