« Swallow » : Cadrage et Symétrie, l’art de filmer l’enfermement psychologique

Swallow (2019) est un film psychologique réalisé par Carlo Mirabella-Davis, qui raconte l’histoire de Hunter, une femme au foyer apparemment parfaite, incarnée par Haley Bennett. Le film explore des thèmes liés au contrôle, à la féminité, et à la quête de l’identité à travers une lente et troublante descente dans une obsession autodestructrice connue sous le nom de pica, un trouble du comportement alimentaire caractérisé par l’envie de manger des objets non comestibles.

Nous allons voir que la mise en scène de Swallow joue un rôle crucial dans la transmission des thèmes du film, notamment à travers l’utilisation des couleurs, de la symétrie, et du cadre, qui contribuent à une esthétique extrêmement contrôlée et symbolique.

Au début du film, Hunter vit une vie apparemment idyllique : elle est mariée à un homme riche, a une belle maison, et attend son premier enfant. Cependant, derrière cette façade se cache une profonde sensation de perte de contrôle. Son mariage, bien que sécurisant sur le plan matériel, est étouffant sur le plan émotionnel. Son mari et sa belle-famille sont dominants, décidant de presque tous les aspects de sa vie, ce qui accentue son sentiment d’impuissance.

L’ingestion d’objets par Hunter devient une manière pour elle de reprendre le contrôle sur son propre corps. Il s’agit d’un acte d’affirmation personnelle dans un environnement où elle se sent réduite à son rôle de femme au foyer et future mère. Loin d’être un simple trouble alimentaire, le pica est ici une métaphore de la résistance silencieuse contre l’oppression.

Tout d’abord, pour illustrer tout cela, le film emploie une palette de couleurs soigneusement sélectionnée, principalement dominée par des tons froids et pastel. Ces couleurs ne sont pas seulement esthétiques, elles servent à illustrer l’état émotionnel de Hunter et le monde qui l’entoure :

Les bleus, les verts et les blancs dominent l’écran, renforçant une atmosphère de stérilité et de froideur. Ces teintes évoquent l’aliénation de Hunter dans son environnement domestique luxueux mais émotionnellement vide. Le bleu, souvent associé à la tranquillité, est ici utilisé pour suggérer la froideur et la distance, créant un sentiment de malaise sous-jacent. Même lorsque Hunter est chez la psychologue – un lieu, a priori, sensé être sécurisant – toute la pièce est vêtue de vert, suggérant ainsi que même à cet endroit Hunter n’est pas complètement libre et sereine.

Les couleurs pastel, comme les roses et les jaunes pâles, ajoutent une touche de douceur qui contraste avec le sujet sombre du film. Ce choix de couleur peut être vu comme une ironie visuelle, représentant la façade de la perfection domestique que Hunter tente de maintenir malgré son chaos intérieur – d’ailleurs remarqué par sa belle-mère lui demandant si elle est heureuse ou si elle fait semblant de l’être. Les pastels sont souvent associés à la féminité traditionnelle et à l’innocence, renforçant le rôle stéréotypé de femme au foyer que Hunter est censée jouer.

La symétrie est une autre caractéristique marquante de la mise en scène, souvent utilisée pour refléter le contrôle et la rigidité qui régissent la vie de Hunter. En effet, de nombreuses scènes sont composées avec une symétrie presque obsessionnelle, où chaque élément du cadre est parfaitement équilibré. Cette symétrie évoque l’idée d’un monde où tout est à sa place, contrôlé et ordonné. Cependant, cette perfection visuelle met également en lumière l’artificialité de l’environnement de Hunter, soulignant le contraste entre l’apparence extérieure et son monde intérieur chaotique.

Hunter est fréquemment placée au centre de l’image, souvent isolée dans des espaces vastes ou géométriquement ordonnés. Cette technique renforce son sentiment d’emprisonnement et de solitude. La manière dont elle est « enfermée » dans ces cadres symétriques reflète sa situation : elle est piégée dans une vie où chaque aspect est contrôlé par les autres, notamment son mari et sa belle-famille.

De plus, les espaces dans lesquels évolue Hunter sont essentiels pour comprendre son état mental. L’intérieur de la maison est impeccablement décoré, avec une esthétique minimaliste et moderne. Cette perfection visuelle est oppressante, suggérant que Hunter vit dans un espace où toute imperfection est intolérable. Le décor devient ainsi une prison dorée, reflétant le manque de liberté et d’expression personnelle.

Un lieu central pour le personnage de Hunter, la cuisine, représente à la fois son rôle de femme au foyer et l’endroit où elle commence à céder à ses pulsions destructrices. La propreté clinique de cet espace contraste avec l’acte impur de manger des objets non comestibles, soulignant l’aspect transgressif de son comportement.

Nous allons à présent analyser en détail deux plans exemplaires qui illustrent et synthétisent parfaitement les différents thèmes explorés dans le film.

Ce plan, large et frontal, est capturé à une certaine distance des personnages, à travers une large baie vitrée, ce qui crée une sensation de détachement et de voyeurisme. Le spectateur est placé à l’extérieur, observant la scène comme s’il regardait dans une cage ou une vitrine, ce qui reflète l’idée que les personnages, en particulier Hunter, sont prisonniers de leur propre vie.

Hunter est assise à gauche, face à son mari qui est à droite. Leur position assise à table, avec une distance notable entre eux, suggère une relation froide et distante. Si physiquement ils sont relativement proches, ils sont, en revanche, émotionnellement et psychologiquement isolés l’un de l’autre (d’autant plus que le mari a les yeux rivés sur son téléphone, rompant davantage le lien entre eux). Ainsi, la distance entre les personnages à la table, combinée au vide autour d’eux, symbolise leur isolement : Hunter est piégée dans un rôle et un environnement où elle est seule, malgré la présence physique de son mari.

Au niveau de la symétrie, la composition du plan est soigneusement équilibrée digne d’un dessin d’architecte. La table est placée exactement au centre du cadre, avec deux lampes suspendues parfaitement centrées au-dessus. Les éléments de décor, comme les étagères au fond, les chaises, et les lignes de la pièce, contribuent à cette symétrie presque clinique. Cette symétrie extrême renforce le sentiment d’ordre rigide et d’inhumanité, symbolisant le contrôle oppressant exercé sur Hunter.

En outre, le cadre est divisé en trois parties égales, ce qui accentue encore la symétrie. Les lignes horizontales du plafond, du sol, et des meubles soulignent la compartimentation de l’espace, représentant le compartimentage émotionnel des personnages.

L’intérieur est moderne, minimaliste, et impeccablement rangé, ce qui correspond à l’idée de la « perfection » que la famille cherche à projeter. Cependant, cette perfection est superficielle et étouffante, tout comme la vie que Hunter mène. Le décor, avec son manque de chaleur et de personnalité, contribue à la déshumanisation du cadre familial.

Ce plan de Swallow est un excellent exemple de la manière dont est utilisé la mise en scène et le cadre pour approfondir les thèmes du film. La symétrie stricte, le cadrage distancié, et l’utilisation d’un décor froid et impersonnel, tout contribue à l’impression d’oppression et d’isolement ressentie par Hunter. En un seul plan, le film parvient à encapsuler le vide émotionnel et la prison dorée dans laquelle elle est piégée.

Dans ce second plan, le cadrage est également large, permettant de voir non seulement Hunter, mais aussi son environnement. Elle est placée à droite du cadre, derrière une vitre teintée en rouge, alors que les deux autres vitres à gauche laissent passer la lumière naturelle. Cette composition divise l’image en trois segments distincts, chacun avec une teinte différente, ce qui crée un contraste visuel marquant.

La posture de Hunter n’est pas anodine. En effet, celle-ci est de profil, avec ses mains posées sur la vitre rouge, comme si elle cherchait à la percer ou à s’en échapper. Ainsi, ses mains pressées contre la fenêtre suggèrent un désir d’évasion, une volonté de sortir de la situation dans laquelle elle se trouve, mais aussi une frustration face à cette impossibilité. Le verre est une barrière transparente, ce qui signifie qu’elle peut voir ce qu’elle veut, mais ne peut pas l’atteindre. Son corps est presque entièrement enveloppé dans cette teinte rouge, la coupant visuellement des autres parties de l’image. Cela suggère une sensation de claustration ou d’enfermement émotionnel.

L’image est à nouveau divisée en trois parties égales, chacune ayant une couleur dominante : bleu à gauche, blanc/gris au centre, et rouge à droite. Cette segmentation symétrique renforce l’idée de compartimentation émotionnelle ou psychologique, où différentes parties de la vie de Hunter (ou de son esprit) sont isolées les unes des autres.

Le contraste entre la teinte froide du bleu et la teinte chaude du rouge souligne le conflit intérieur de Hunter. Le bleu, souvent associé au calme et à la tranquillité, est ici opposé au rouge, symbole de danger, de passion ou de souffrance. La zone centrale, en gris neutre, pourrait représenter une sorte de zone de transition entre ces deux états émotionnels. La vitre teintée en rouge est un élément central de ce plan. En enveloppant Hunter, elle symbolise vraisemblablement la souffrance et l’angoisse qui l’étouffe. C’est une vitre transparente mais infranchissable, illustrant les barrières invisibles mais réelles dans sa vie. Elle est physiquement séparée du monde extérieur par cette teinte rouge, ce qui suggère qu’elle est piégée dans ses propres émotions ou dans les attentes que son entourage a d’elle. Le rouge peut également signifier l’alerte. En effet, cela peut être considéré comme l’annonce d’un mauvais présage car la scène qui suit est celle où Hunter cède à sa première ingestion – qui plus est, est une bille rouge, coïncidence ?
Le bleu, à l’opposé, pourrait représenter ce qu’elle aspire à atteindre : la sérénité, la liberté, ou une existence plus paisible. Le contraste entre ces deux couleurs montre le déchirement de Hunter entre ces deux états émotionnels.

À travers les deux autres vitres, nous voyons la nature verdoyante, un lac et des collines, qui pourraient représenter la liberté ou la paix, des éléments qui semblent inaccessibles à Hunter dans ce moment précis. La juxtaposition de la nature ouverte avec l’enfermement symbolique de Hunter derrière la vitre rouge renforce le thème de l’isolement et de la quête de libération.

La division chromatique de l’image, le positionnement de Hunter, et l’utilisation du verre comme symbole de barrière psychologique sont autant d’éléments qui enrichissent la compréhension du personnage et de ses luttes intérieures. Ce plan reflète visuellement le conflit émotionnel central du film : le désir de liberté et d’auto-contrôle contre l’enfermement dans un rôle imposé par les autres.

Conclusion

La mise en scène de Swallow utilise une esthétique visuelle maîtrisée pour créer une expérience cinématographique qui est à la fois belle et profondément troublante. En utilisant les couleurs, la symétrie, et le cadre, Carlo Mirabella-Davis transforme chaque élément visuel en une extension de l’état psychologique de Hunter, rendant palpable son conflit intérieur.

Plus largement, le film dépeint avec finesse la manière dont des pressions extérieures peuvent conduire à des comportements destructeurs, tout en explorant la résilience et la quête d’autonomie d’une femme en quête d’elle-même. C’est un film qui, malgré sa dureté, propose une réflexion profonde sur la manière dont les individus peuvent se réapproprier leur vie face à des forces oppressives.


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