Lumière sur le Néon : Comment l’icône urbaine illumine l’art contemporain et le grand écran

Vers une esthétique néon

L’esthétique néon est un style visuel et artistique qui tire parti des caractéristiques uniques de la lumière néon pour créer des œuvres d’art et des designs distinctifs. Cette esthétique est souvent associée à des couleurs vives, une luminosité éclatante et un certain effet rétro-futuriste.

Le gaz néon a été découvert en 1898 par les chimistes britanniques Sir William Ramsay et Morris W. Travers. La première lampe néon a été développée quant à elle par le physicien français Georges Claude en 1910, à Paris.

Mais comment cela fonctionne exactement ? Techniques et caractéristiques :

  • Il s’agit de tubes de verre qui sont façonnés à la main et remplis de gaz néon. Lorsque le gaz est électrifié, il émet une lumière vive et colorée. La couleur de la lumière dépend du type de gaz utilisé. Le néon pur produit une lumière rouge intense, tandis que d’autres gaz comme l’argon ou le krypton produisent des lumières de différentes couleurs. Les tubes peuvent également être enduits de phosphore pour créer une gamme encore plus large de couleurs. Les œuvres néon sont caractérisées par des couleurs éclatantes comme le rose, le bleu, le vert, le rouge et le jaune. Ces couleurs, souvent saturées, attirent l’attention et créent un fort impact visuel.
  • La lumière néon est intrinsèquement brillante et intense, ce qui donne aux œuvres une présence lumineuse distincte. La lumière crée également des effets de halo, tantôt doux, tantôt agressifs, et de diffusion, ajoutant à la dynamique visuelle. 
  • Les tubes, fins et flexibles, peuvent être fléchis et permettre la création de lettres, de formes abstraites ou de sculptures complexes. Les artistes jouent souvent avec la lumière, les ombres et les reflets pour créer différents effets visuels.

Bien que le tube néon fasse son apparition en 1910, c’est seulement dans les années 1920 que le néon va commencer à être utilisé en tant qu’enseigne publicitaire, devenant une forme révolutionnaire de marketing et sa popularité se propageant de l’Europe aux États-Unis.  À New York, Times Square se transforme en mosaïque étincelante de néons, établissant la ville comme une nouvelle métropole lumière. Dans les années 1930, les enseignes au néon deviennent une attraction touristique. Le marché américain adopte peu à peu le néon comme un élément de signalisation représentatif des États-Unis, et sa popularité se maintient jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Dans les années 1960 et 1970, le néon est à son apogée, notamment grâce au mouvement pop art et à l’essor de la culture urbaine. En effet, les enseignes néon sont un élément emblématique des paysages urbains, en particulier dans des villes comme Las Vegas, New York, Tokyo ou encore Hong-Kong.

Dans l’Amérique effervescente de l’après-guerre, les enseignes au néon indiquent bars, cinémas et motels, et participent à la création de Las Vegas, ville de néons émergeant du désert. En 1964, dans le magazine Esquire, l’écrivain Tom Wolfe décrit ainsi son arrivée à Las Vegas : « Las Vegas est la seule ville au monde dont l’horizon n’est fait ni d’immeubles, comme à New York, ni d’arbres, comme à Wilbraham, dans le Massachusetts, mais de néons. (…) Regardez Las Vegas à plus d’un kilomètre depuis la route 91 et vous ne verrez ni immeubles, ni arbres, seulement des néons ».

La ville est souvent réduite à son Strip éblouissant, un long boulevard de casinos et d’attractions touristiques, qui occulte la vie des deux millions d’habitants de cette métropole économique du Nevada. Cette vision est renforcée par les représentations médiatiques, notamment au cinéma, avec au moins sept films entre 1960 et 1970 qui ont utilisé Las Vegas comme toile de fond, contribuant à son image de ville de néons et de jeux.

Viva Las Vegas, réalisé en 1964 par George Sidney, est un film avec Elvis Presley et Ann-Margret qui illustre le Las Vegas des années 60. Le film se distingue par sa mise en scène des enseignes vibrantes au néon caractéristiques de la ville.

Fear and Loathing in Las Vegas, réalisé en 1998 par Terry Gilliam, est une représentation extravagante et surréaliste du Las Vegas des années 70. Le film utilise de manière emblématique les néons exubérants de la ville pour illustrer l’expérience hallucinatoire et déroutante vécue par les personnages, joués par Johnny Depp et Benicio del Toro.

Le néon finit par perdre lentement en popularité  peu à peu associé à des quartiers moins prestigieux, souvent liés au déclin urbain ou aux activités interlopes. Cette évolution dans l’opinion publique se fait parallèlement à l’émergence de nouvelles technologies d’éclairage et de signalisation, comme les LED, plus économes en énergie et offrant une plus grande flexibilité en termes de design.

Cependant, vers la fin des années 1980 et au cours des années 1990, on assiste à un regain d’intérêt pour le néon, en partie en tant que forme d’art nostalgique et rétro. C’est également à ce moment-là que de plus en plus d’artistes vont s’emparer de ce médium comme moyen d’expression artistique. 

L’art néon devient une forme d’expression visuelle vibrante et dynamique. Grâce à son utilisation innovante de la lumière et de la couleur, il offre une manière unique de capter l’attention et de transmettre des messages, faisant du néon un médium intemporel et pertinent dans le paysage artistique contemporain.

Il va également être introduit dans de nombreuses institutions artistiques qui intègrent des œuvres néon dans leurs collections permanentes et expositions, reconnaissant ainsi l’importance de cette forme d’art. À Las Vegas, The Neon Museum a été créé pour préserver les anciennes enseignes au néon, témoignant de leur importance historique et culturelle.

Enfin, parmi les artistes connus pour leur utilisation du néon dans leurs travaux artistiques, nous pouvons citer :

  • Bruce Nauman (américain): Un des pionniers de l’art néon, Nauman utilise souvent des mots et des phrases dans ses œuvres pour provoquer des réflexions et des émotions chez les spectateurs. Il tente de réinsuffler une dimension spirituelle et critique à ce médium. (La spiral, les 7 péchés)
  • Dan Flavin (américain): Bien qu’il soit surtout connu pour ses installations avec des tubes fluorescents, Flavin a également influencé l’art néon avec son utilisation innovante de la lumière dans l’art.
  • Tracey Emin (britannique): Connue pour ses œuvres néon qui souvent présentent des messages personnels et poétiques écrits à la main.

L’exposition de Dan Flavin au Kunstmuseum Basel :

Dan Flavin est un artiste américain célèbre pour ses œuvres utilisant des tubes fluorescents. Ses installations lumineuses ont révolutionné l’art contemporain en intégrant la lumière artificielle comme médium principal et en faisant entrer les produits commerciaux dans le domaine artistique.

Ses œuvres sont présentes dans les collections de nombreux grands musées, dont le Museum of Modern Art (MoMA) à New York, le Dia à Beacon, New York, et le Kunstmuseum Basel en Suisse. Ses installations sont régulièrement exposées dans des galeries et des institutions à travers le monde, permettant au public de continuer à découvrir et à apprécier son utilisation innovante de la lumière.

À travers l’exposition Dan Flavin. Dédicaces en lumière qui a eu lieu au Kunstmuseum Basel (02.03 – 18.08.2024), nous allons soulever quelles sont les caractéristiques de l’art de Dan Flavin et quelles sont les raisons artistiques, conceptuelles et culturelles pour lesquelles ces œuvres sont importantes et méritent d’être exposées, car si exposer des tubes fluorescents dans des musées peut sembler inhabituel, à première vue, ceci n’est pas dépourvu de sens.

Redéfinition de l’art d’un point de vue innovant :

Dan Flavin et d’autres artistes utilisant des tubes fluorescents ont redéfini ce que l’on considère comme de l’art. Ils ont transformé des objets industriels ordinaires en œuvres d’art, élargissant ainsi les limites des matériaux artistiques traditionnels. En outre, les tubes fluorescents, en tant qu’objets industriels, reflètent également l’influence de la culture industrielle et du pop art, mettant en lumière la relation entre l’art et la culture de consommation.

Mouvement minimaliste

Flavin est souvent associé au mouvement minimaliste – se concentrant sur la simplicité et l’élimination de l’excès – bien que son utilisation de la lumière et de la couleur le distingue de nombreux de ses contemporains. Les tubes fluorescents incarnent alors cette esthétique en étant des objets simples et fonctionnels utilisés pour créer des effets visuels puissants. Il préfère les couleurs comme le blanc, le bleu, le vert, le rose, le jaune et le rouge. En utilisant des matériaux élémentaires pour créer des effets visuels complexes, Flavin explore les tensions entre simplicité et complexité, entre le banal et le sublime.

Exploration de la lumière et de l’espace : un dialogue avec l’architecture

Ses créations sont souvent composées de tubes disposés de manière géométrique, créant des lignes droites, des angles droits et des configurations symétriques. Il joue avec l’espace et la lumière, utilisant les murs, les sols et les coins des galeries pour structurer ses œuvres et intégrer l’architecture au sein de ses créations. Flavin « libère » ainsi la couleur de la bidimensionnalité de la peinture.

Ses œuvres ont influencé la manière dont les artistes et le public perçoivent et interagissent avec l’espace architectural. En effet, la lumière fluorescente et colorée crée des ombres, des reflets et des changements subtils dans l’environnement, où elle englobent le spectateur offrant ainsi une véritable expérience immersive.

Sélection d’œuvres de l’exposition :

Bien que les oeuvres de Flavin paraissent abstraites, elle renferment souvent dans leur titre une allusion à quelque chose de concret, par exemple aux atrocités de la guerre ou à la violence policière, ou sont dédiées à d’autres artistes. (présentation de chaque œuvre texte-image)

The Diagonal of May 25, 1963 (to Constantin Brancusi), 1963.

Ce n’est pas avec grand étonnement que l’exposition s’ouvre avec « La Diagonale » car il s’agit de l’une de ses premières œuvres en néon avec laquelle il a percé, artistiquement parlant. Cette pièce consiste en un tube fluorescent jaune positionné à un angle de 45° sur le mur, rendant hommage au sculpteur roumain Constantin Brancusi (1876-1957).

Untitled (to Henri Matisse), 1964.

Cette oeuvre est dédiée à l’artiste français Matisse (1869-1954) connu pour ses expérimentations chromatiques ainsi que sa facture expressive et ses aplats.

Monument 4 for those who have been killed in ambush (to P.K. who reminded me about death), 1966.

Avec cette œuvre, Flavin souhaite s’exprimer contre la guerre du Vietnam.  La dédicace à son ami Paul Katz fait suite à une conversation entre les deux hommes à propos de cette guerre et au très grand nombre de victimes mentionné par Katz.

Monument for V. Tatlin, 1964.

Cette série d’œuvres est dédiée à l’artiste russe constructiviste Vladimir Tatlin (1885-1953). Ces pièces utilisent des tubes fluorescents disposés en structures verticales simples, rappelant les tours et les structures architecturales. Particulièrement impressionné par le Monument à la Troisième Internationale que Tatline a projeté en 1919-1920, Flavin s’en est inspiré dans une multitude de variations en couleur de lumière blanche.

Untitled (to you, Heiner, with admiration and affection), 1973.

Il s’agit d’ une installation complexe composée de plusieurs tubes fluorescents verts disposés en un motif en zigzag, montrant l’évolution de Flavin vers des compositions plus élaborées.

Untitled (to Don Judd, colorist) 1 -5, 1987.

Flavin a dédié à son ami Donald Judd cette série qui fait référence avec beaucoup d’ironie à son travail artistique.  L’art de Judd se caractérise par des formes et matériaux fabriqués industriellement dans des couleurs pures.

Untitled (to Barnett Newman), 1971.

Après le décès du peintre Barnett Newman en 1970, Flavin dédie à son ami cette série d’oeuvres. L’art de Newman, qui s’inscrit dans l’Expressionnisme abstrait, a été une source d’inspiration importante pour les propres créations de Flavin.

Untitled (to my dear bitch, Airily) 2, 1985.

Avec son Golden Retriever Airily, Flavin s’est rendu à plusieurs concours canins. La chienne a remporté plusieurs de ces concours et elle a même reçu la plus haute distinction jamais obtenue par un Golden Retriever aux États-Unis. En signe d’affection, l’artiste lui a dédié cette grande installation en 1985.

Finalement, Dan Flavin a laissé une marque indélébile sur l’art contemporain avec ses œuvres lumineuses, transformant la manière dont la lumière peut être utilisée pour créer des expériences artistiques puissantes et immersives.

Exposer des tubes fluorescents dans des musées, en particulier dans le cadre des œuvres de Dan Flavin, permet de célébrer et de comprendre des aspects clés de l’art contemporain. Ces œuvres invitent les spectateurs à réfléchir sur la nature de l’art, à explorer la perception de la lumière et de l’espace, et à apprécier la manière dont des objets industriels simples peuvent être transformés en expériences artistiques.

Et le cinéma dans tout ça ?

L’utilisation du néon dans le cinéma est un outil visuel puissant qui contribue à la création d’ambiances spécifiques, à l’expression de thèmes et à la caractérisation des environnements urbains. En effet, les lumières nocturnes de la ville comprennent les lampadaires, les feux de circulation et les enseignes lumineuses, formant un univers riche de contrastes et de couleurs.

Rôles et fonctions de l’esthétique néon dans le cinéma :

  • Atmosphère nocturne : Le néon est souvent utilisé pour représenter des scènes nocturnes, apportant une lueur distincte qui éclaire les rues, les intérieurs et les extérieurs urbains. L’utilisation de l’éclairage saturé permet de retranscrire à l’image l’atmosphère dynamique de la métropole contemporaine, parfois agressive et vulgaire mais également séduisante et empreinte de mystères voire parfois de nostalgie.
  • Ambiance futuriste ou dystopique : Cette esthétique est aussi liée à des éléments de la culture pop, des films et des jeux vidéo des années 1980, qui ont popularisé l’utilisation du néon dans des contextes futuristes ou dystopiques. Les films de science-fiction utilisent fréquemment le néon pour évoquer des futurs urbains, souvent désenchantés et technologiquement avancés. Ainsi, les couleurs vives et les lumières artificielles renforcent l’idée d’une société futuriste et parfois déshumanisée.
  • Décadence urbaine, glamour et séduction : Le néon est associé aux thèmes de la décadence, du consumérisme et de la dégradation morale dans les environnements urbains. Les enseignes lumineuses, souvent clignotantes ou partiellement défectueuses, peuvent symboliser la corruption ou le déclin. Des lieux intrinsèquement attachés à ce type d’éclairage comme les cabaret, les bars, les diner, les strip clubs, etc., associent également la lumière néon aux activités interlopes.
  • Contrastes et ombres : Le néon crée des contrastes saisissants entre lumière et ombre, ajoutant une dimension dramatique et stylistique aux scènes. Les réalisateurs utilisent cette qualité pour accentuer les traits des personnages et les détails de l’environnement. Kandinsky observe que la couleur noire est celle qui a le moins de résonnance, mais qu’à ses côtés toute couleur « sonne plus forte et plus précise ». De ce fait, la nuit noire agit comme un catalyseur, mettant en valeur et exaltant les couleurs qui y sont placées.
  • Couleurs et moods : Les couleurs néon peuvent influencer le « mood » d’une scène. Par exemple, le rouge peut évoquer la passion ou le danger, le bleu peut suggérer la mélancolie ou la froideur, et le vert peut représenter le dégoût ou l’aliénation.

Le nocturne et l’émergence de la couleur :

Les lumières colorées sont intrinsèquement liées à la nuit. Dès lors, quelle est la motivation sous-jacente qu’un artiste peut avoir à représenter la nuit ? Dans son ouvrage Le nocturne et l’émergence de la couleur, Judith Langendorff propose une réponse à travers la théorisation de trois concepts : les métamorphoses par distorsion, sublimation et transfiguration du nocturne. Nous allons voir plus en détail de quoi il est question.

La distorsion nocturne :

Dans un contexte nocturne, les distorsions peuvent se définir comme de perturbations qui altèrent la perception du réel. Cela peut se manifester sous différentes formes telles que des aberrations chromatiques, des diffusions optiques, des réflexions, des dédoublements, des torsions, des condensations ou des manipulations de l’espace-temps (ralenti, accéléré, flou de bouger). L’optique, les filtres utilisés à la prise de vue, la pellicule, la brume, la fumée, la pluie sont des facteurs à même de provoquer ces perturbations colorées.

Taxi Driver (Martin Scorcese, États-Unis, 1976).

Le pare-brise humide agit comme un filtre déformant des bokeh d’arrière-plan. Les gouttent d’eau ajoutent des réflexions spéculaires qui mouchettent les zones d’ombre dans l’image.

Les rues humides agissent comme des miroirs déformants des enseignes néon. Il en résulte une imagerie à la texture humide de New York la nuit.

Ces distorsions existent également en plein jour, mais c’est l’obscurité de la nuit qui les révèle. En effet, pour exister visuellement, la nuit appelle ces altérations : ce sont elles qui sont à l’origine de sa texture. La couleur noire, neutre, semble intensifier les couleurs comme en opposition à celle-ci. Lorsque vient briller un néon flamboyant dans un contexte où nous utilisons normalement un autre mode visuel, les couleurs semblent donc plus perçantes : c’est un jeu de contrastes. À l’opposé, les teintes diurnes sont plus pâles.

As Tears Go By (Wong Kar-Wai, Chine, 1988).

La technique de step-printing permet d’obtenir le « smudge motion » : un des effets stylistiques caractéristiques du cinéma de Wong Kar-Wai, reconnaissable par ses mouvements flous et saccadés dans lequel les couleurs se mélangent et s’estompent les unes dans les autres.

Chungking Express (Wong Kar-Wai, Chine, 1994).

L’effet est obtenu en réglant un temps de pause plus long pour chaque image et en impressionnant plusieurs fois la même image sur la pellicule pour étendre la durée de la séquence. Le temps d’exposition produit un effet de mouvement flou, tandis que le processus de réassemblage des images à 24i/s permet des vitesses variables, un effet de ralenti et des mouvements discontinus. Les néons de Hong Kong se fondent en formes floues, créant une imagerie visuelle intense où les couleurs et la lumière se transforment en motifs abstraits.

Ce terme de distorsion fait également référence à la manière dont la réalité nocturne est déformée, altérée ou transformée par l’imagination artistique et littéraire. Langendorff suggère que la nuit, en tant qu’espace-temps particulier, subit des modifications dans sa représentation, devenant ainsi un lieu de projection des peurs, des désirs et des fantasmes. La nuit, souvent perçue comme un moment d’incertitude et de mystère, est sujette à des interprétations multiples. Les artistes et écrivains déforment cette réalité nocturne pour révéler des vérités cachées ou pour exacerber des émotions particulières. Par exemple, dans la littérature gothique ou dans le film d’épouvante, la nuit est souvent déformée pour devenir un espace d’horreur et de surnaturel.

La sublimation nocturne :

La sublimation, dans ce contexte, désigne le processus par lequel les aspects inquiétants ou sombres de la nuit sont transmutés en quelque chose de plus élevé, de plus noble ou de plus esthétique. La nuit, avec ses connotations négatives (peur, danger, mort), est ainsi élevée à un niveau supérieur, devenant une source d’inspiration et de beauté. Langendorff voit dans la sublimation un mécanisme par lequel les aspects négatifs ou tabous de la nuit sont transformés en expressions artistiques ou poétiques. C’est une manière de transcender la peur ou le malaise associé à la nuit en les intégrant dans une œuvre qui les valorise et les rend sublimes.

La nuit est souvent utilisée par les cinéastes pour explorer et exprimer les aspects cachés de l’esprit humain, tels que les rêves, les traumatismes et les névroses, qui sont moins visibles de jour. Elle est liée à l’inconscient et peut avoir une signification spirituelle, c’est donc une occasion de sonder l’âme de leurs personnages.

2001 : a space Odyssey (Stanley Kubrick, États-Unis, 1968).

La séquence « Star Gate » offre une profusion psychédélique ultra stimulante de couleurs. Ces effets visuels ont été réalisés sans CGI grâce à la technique du « Slit Scan » mise au point par Douglas Trumbull. Cette technique innovante a permis de créer des effets de distorsion de la lumière et du mouvement, donnant l’impression d’un voyage à travers l’espace et le temps, une expérience visuelle qui reste marquante dans l’histoire du cinéma et qui suscite à la fois la crainte et l’admiration, des éléments clés de l’expérience du sublime.

La transfiguration nocturne :

Last Night in Soho (Edgar Wright, Royaume-Unis, 2021).

La nuit au cinéma s’exprime rarement dans l’obscurité absolue. Au contraire, elle se révèle à travers des éclats lumineux ou des atmosphères teintées de bleu, de rouge, de mauve, où la dynamique entre ombre et couleur est en perpétuelle mutation. Judith Langendorff note dans son analyse que le noir et le bleu dominent les représentations nocturnes, mais elle met l’accent sur l’incursion récurrente du rouge, symbolisant le sang et la mort, qui devient alors un marqueur dramatique de la nuit. Ce « rouge nocturne » s’empare d’abord des décors avant d’éclairer les corps.

La transfiguration du nocturne se réfère à la manière dont la nuit est non seulement représentée, mais complètement réinventée ou reconfigurée dans l’art et la littérature. Il ne s’agit plus seulement de distorsion ou de sublimation, mais d’une transformation complète où la nuit devient autre chose, un espace symbolique et poétique qui transcende sa réalité quotidienne. Langendorff théorise que la nuit, dans ce processus, devient un symbole universel et intemporel, représentant des concepts comme l’inconnu ou le divin. Ce n’est plus la nuit en tant que phénomène naturel, mais la nuit en tant qu’idéal artistique et spirituel.

Blue Velvet (David Lynch, États-Unis, 1986).

Dans le cinéma de David Lynch, la nuit devient un espace de rêve et de cauchemar, transfigurant la réalité en quelque chose de profondément symbolique et mystérieux.

Les scènes nocturnes de Kubrick, Lynch ou, plus récemment, Wright mettent en scène la fluidité des couleurs, leur mutation et leur étrangeté. La transfiguration nocturne se matérialise dans une nuit baignée de lumière qui métamorphose le paysage. Cette même lumière enveloppe les personnages, les guidant vers leur transformation, leur fin ou leur renaissance.

Langendorff décompose la transfiguration en deux aspects : l’un exalte la beauté des décors au cinéma, et l’autre, la transformation inexorable de personnages, avec des scènes de mort ou de métamorphoses à résonance spirituelle.

Glissement du néon vers la marginalisation :

Avec l’introduction du Plexiglas, facile à entretenir et plus abordable, la demande d’enseignes au néon chuta entre 1950 et 1960, progressivement remplacé par des enseignes en plastique. Ces nouvelles options d’enseignes allaient résoudre les problèmes de consommation élevée d’électricité, de maintenance coûteuse et de coût initial par rapport au néon. Le marché de vente du néon glissa alors des grandes installations élaborées à des enseignes et panneaux publicitaires pour de petits commerces. Cinémas, diners, bars et salles de bowling pouvaient tous acheter du néon à petite échelle et facile à entretenir, car le marché des grandes enseignes avait cédé la place au plexiglas et au fluorescent.

À partir des années 1960 aux États-Unis, le néon est ainsi devenu le signe distinctif des zones urbaines délaissées et un marqueur des disparités entre les quartiers de classe moyenne et les zones délabrées. En l’espace de quelques décennies, l’opinion publique sur le néon est passée d’une attraction populaire à un kitsch vulgaire.

Les enseignes au néon ont ainsi trouvé un nouveau rôle dans les zones urbaines en déclin, souvent associées aux activités interlopes. Times Square dans les années 1970 est devenu emblématique de cette réputation, avec une prolifération de cinémas pornographiques, de peep shows, et d’autres formes de divertissement pour adultes, tous annoncés par des lumières au néon. Les films, séries télévisées et autres médias visuels ont contribué à solidifier l’image du néon comme un marqueur de l’industrie du sexe. Par exemple, dans le film Taxi Driver (1976), la ville de New York, avec ses enseignes néon scintillantes, devient le cadre d’une exploration du côté sombre de la société, où l’industrie du sexe est omniprésente.

À Las Vegas, les enseignes néon offraient une manière d’attirer les clients potentiels vers ses casinos et spectacles de showgirls, en créant une ambiance séduisante et excitante. Les couleurs vives et les lumières clignotantes évoquaient la promesse d’expériences intenses et interdites, rendant les lieux plus attrayants. Cela contribuait à une image glamour mais commerciale de la sexualité. Ces mêmes enseignes, bien qu’efficaces pour attirer l’attention, ont aussi contribué à la stigmatisation des lieux qu’elles signalent. Le néon est devenu un symbole à double tranchant, à la fois glamour et sordide, attirant les regards tout en signalant une forme de marginalité sociale.

Au cinéma, le néon va donc être un moyen d’évoquer les activités interlopes et le travail du sexe. Ainsi, bien plus qu’une simple source de lumière, il devient un indicateur des divers aspects peu reluisants de la vie urbaine.

Exemples célèbres de films avec l’utilisation du néon :

Blade Runner (Ridley Scott, États-Unis, 1982) et Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, États-Unis, 2017)

Ces films emblématiques de Ridley Scott et Denis Villeneuve utilisent le néon pour créer une esthétique cyberpunk, avec des paysages urbains saturés de lumières colorées et de reflets de pluie. Le néon souligne le mélange de haute technologie et de basse qualité de vie, typique du genre.

Dans le film de Ridley Scott, les environnements urbains sont saturés de lumières néon, ce qui reflète la société futuriste et dystopique dans laquelle vit Rick Deckard (interprété par Harisson Ford). Les scènes avec Deckard sont souvent baignées de lumière, créant des reflets et des ombres sur son visage, soulignant son état intérieur de confusion et de moralité ambiguë.

Drive (Nicolas Winding Refn, États-Unis, 2011)

Le réalisateur Nicolas Winding Refn utilise le néon pour créer une ambiance stylisée et intense, particulièrement dans les scènes de nuit à Los Angeles ainsi que pour refléter l’état émotionnel du personnage principal (interprété par Ryan Gosling). Le néon met en avant le caractère énigmatique et solitaire du personnage, tout en créant un contraste avec les moments de violence brutale.

The Neon Demon (Nicolas Winding Refn, États-Unis, 2016)

Ce film de Nicolas Winding Refn utilise le néon pour commenter l’obsession de la beauté dans l’industrie de la mode. Jesse (interprétée par Elle Fanning) est fréquemment montrée sous des lumières néon éclatantes qui accentuent sa transformation et son ascension dans l’industrie de la mode. Les couleurs néon symbolisent à la fois le glamour et la superficialité du monde qu’elle cherche à conquérir.

John Wick (Chad Stahelski, États-Unis, 2014) et ses suites

Les films John Wick utilisent le néon pour créer une esthétique visuellement frappante qui contraste avec la brutalité de l’action. Les séquences de combat dans des lieux comme des clubs de nuit ou des couloirs sombres sont souvent éclairées par des néons de couleurs vives et sont devenues emblématiques de la série. Ces lumières créent une atmosphère intense et stylisée, mettant en valeur la précision et l’efficacité du personnage (interprété par Keanu Reeves) dans ses actions.

Only God Forgives (Nicolas Winding Refn, États-Unis, 2013)

Un autre film de Nicolas Winding Refn, situé dans les bas-fonds de Bangkok, où la lumière néon joue un rôle crucial dans la narration visuelle. En effet, Julian (interprété par Ryan Gosling) est souvent éclairé par des néons rouges et bleus, reflétant son état de tourment intérieur et les conflits moraux auxquels il est confronté. Le néon crée une atmosphère onirique et oppressante, soulignant ainsi le caractère sombre et violent du film.

Lost in Translation (Sofia Coppola, États-Unis et Japon, 2003)

Sofia Coppola utilise la lumière néon pour dépeindre l’environnement urbain de Tokyo, qui est à la fois étranger et fascinant pour les deux personnages principaux. Les scènes où Charlotte (interprétée par Scarlett Johansson) et Bob Harris (interprété par Bill Murray)explorent la ville sont souvent illuminées par des néons multicolores, symbolisant leur sentiment d’aliénation et d’émerveillement. Le néon renforce le thème de la déconnexion tout en offrant des moments de beauté visuelle.

Casino (Martin Scorcese, États-Unis, 1995)

Dans la scène de la voiture, l’obscurité permet un jeu de surimpression dansant : les néons du Las Vegas des années 70 se reflètent sur la vitre et viennent s’imprimer par-dessus le visage de Rothstein (interprété par Robert de Niro) au fur et à mesure que la voiture avance, une idée visuelle signifiante au regard du personnage qu’il interprète. Rothstein est un professionnel accompli qui dirige l’un des casinos les plus florissants de la ville, mais son monde est également plein de compromis moraux et de relations tumultueuses. Cette superposition colorée pourrait refléter le conflit intérieur de Rothstein, son implication profonde dans le monde corrompu des jeux de hasard, et sa tentative de maintenir une façade de légitimité et de contrôle. Les néons, vibrants et omniprésents, peuvent être vus comme une métaphore de l’intrusion persistante de ces éléments turbulents dans sa vie personnelle et professionnelle, illustrant la difficulté de séparer complètement les affaires des aspects plus sombres et complexes de l’existence à Las Vegas.

Fallen Angels (Wong Kar-Wai, Chine, 1995)

Les néons emblématiques de Hong Kong contribuent à créer une atmosphère mélancolique, reflétant l’anonymat et l’isolement existentiel des personnages dans leur quête nocturne de sens. Le néon est utilisé dans ce film pour représenter l’impact visuel et psychologique de la ville sur ses habitants, dans un espace urbain dense. Il devient ainsi une fantaisie urbaine dystopique.

Wonder Wheel (Woody Allen, États-Unis, 2017)

Le film se déroule dans les années 1950 à Coney Island, un lieu célèbre pour ses manèges et ses lumières au néon. Les néons sont omniprésents, créant une atmosphère à la fois nostalgique et oppressante. Ils rappellent le glamour et l’évasion offerts par les parcs d’attractions, contrastant avec la réalité des personnages, qui sont souvent piégés dans des situations désespérées. Les néons, avec leurs couleurs vives et saturées, sont utilisés pour exprimer les émotions intérieures des personnages.

Ce film fera l’objet d’une analyse plus développée concernant l’utilisation du néon, dans un prochain article.

One from the Heart (Francis Ford Coppola, États-Unis, 1981)

L’intrigue est placé dans le paysage iconique de néons de Las Vegas qui permet un usage très expressif de la lumière. Une déréalisation des décors par la lumière s’opère. Ici, il n’est pas question de recréer un Las Vegas réaliste, mais plutôt un monde imaginaire, presque théâtral. Les néons participent à cette illusion, où la réalité est embellie et stylisée. Ils contribuent à rendre l’univers du film à la fois artificiel et magique, correspondant au ton général de l’histoire d’amour torturée.

Ce film fera l’objet d’une analyse plus développée concernant l’utilisation du néon, dans un prochain article.

Enter the Void (Gaspar Noé, France, Allemagne et Italie, 2009)

Le film, qui est souvent qualifié de trip hallucinogène visuel, utilise ces lumières de manière à la fois immersive et symbolique, créant une expérience sensorielle unique pour le spectateur.

Le film se déroule à Tokyo. Les lumières de cette mégapole créent une ambiance urbaine étouffante et psychédélique, reflétant l’état d’esprit altéré du protagoniste, Oscar, qui est un trafiquant de drogue. En effet, les néons contribuent à l’expérience sensorielle du film, immergeant le spectateur dans une réalité altérée, proche de la transe ou du rêve lucide. Cette atmosphère sert à plonger le public dans la perspective subjective d’Oscar, dont la perception de la réalité est constamment modifiée par la drogue.

Conclusion

Finalement, l’utilisation du néon dans le cinéma est un moyen efficace de créer des ambiances spécifiques, d’explorer des thèmes et de renforcer l’impact visuel des films. Que ce soit pour évoquer un futur dystopique, représenter la vie nocturne urbaine, ou ajouter une touche de glamour et de mystère, le néon joue un rôle crucial dans l’esthétique et la narration cinématographique. En lien avec les personnages dans le film, la lumière fluorescente va au-delà de l’esthétique ; elle sert à approfondir la compréhension des personnages, à souligner leurs émotions et à créer des atmosphères spécifiques. Ces exemples montrent comment la lumière néon peut être intégrée de manière significative dans la narration visuelle.

Si l’esthétique néon est parfois perçue comme vulgaire, artificielle ou tape-à-l’oeil, elle a toutefois gagné en respectabilité, étendant son influence au-delà du cinéma dans les jeux vidéo, les séries télévisées, les courts métrages et la pop-culture en général. Cette esthétique, avec ses couleurs rétro et agressives, est devenue emblématique de notre époque, capturant à la fois nostalgie, modernité et fantasmes futuristes.

Sources :

BOUSSIOUX Jason, Les lumières colorées, les enjeux narratifs, esthétiques et techniques d’un éclairage « néon » au cinéma, mémoire de Master, 2023.

KANDINSKY Wassily, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris: Éditions Denoël, 1989.

LANGENDORFF Judith, Le nocturne et l’émergence de la couleur: Cinéma et photographie, Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2022.

WOLFE Tom, “Las Vegas (What?) Las Vegas (Can’t Hear You! Too Noisy) Las Vegas!!!! », in Farrar, Straus and Giroux, The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby, 2009.


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