Kenturah Davis : La poésie du mouvement dans le dialogue entre mots et dessins

Mon coup de cœur du mois de juillet est l’artiste américaine Kenturah Davis, travaillant entre Los Angeles et Accra (Ghana). C’est lors de son exposition Kenturah Davis: clouds à la Stephen Friedman Gallery de Londres que j’ai eu l’occasion de la découvrir. 

Son travail est surtout axé sur le genre du portrait. Utilisant le texte comme point de départ, elle explore le rôle fondamental que joue le langage dans la façon dont nous nous comprenons nous-mêmes et le monde qui nous entoure. Cela se manifeste sous diverses formes, notamment des dessins, des textiles, des sculptures et des performances.

Davis est connue pour ses dessins au graphite et au fusain qui intègrent des fragments de texte. Son travail est profondément influencé par la philosophie, la littérature et la linguistique.  Ainsi, elle utilise des mots et des phrases pour créer des portraits où les lettres et les mots deviennent des éléments visuels structurants. À travers cette pratique, elle examine comment le langage façonne notre perception et notre identité.

Normalement, je dois avouer que le dessin n’est pas particulièrement un médium que j’affectionne. Mon penchant va plutôt pour la peinture mais ces œuvres graphiques ont su développer mon intérêt.  

Ce que j’ai adoré dans les œuvres de cette exposition c’est l’idée du mouvement. Davis sait très bien retranscrire, par le dessin, le mouvement du corps et les effets de dédoublement qui donnent du dynamisme au dessin, médium qui, a priori, est statique. En effet, le graphite et le fusain permettent encore mieux, grâce aux dégradés fondus harmonieux, de donner cet effet animé. Cela contribue également à donner une texture plus douce au dessin et des subtiles nuances. C’est certainement cela qui m’a attiré.

Ce que j’ai également beaucoup aimé c’est la part textuelle présente au sein du dessin comme élément faisant partie intégrante de l’œuvre. Pour une personne comme moi qui aime la littérature, la philosophie et la poésie, cette association texte-image est très intéressante et originale. Cela vient apporter une dimension encore plus profonde à l’œuvre. Ainsi, le public en plus d’être spectateur devient également lecteur et peut avoir plusieurs niveaux de lecture face à lui. Si en effet, il voit en premier lieu des personnages danser en exécutant divers gestes corporels, il peut également, en lisant les textes, avoir une réflexion sur différents sujets qui y sont abordés tels que l’identité, notre place dans la société ou encore le temps et l’espace.

L’exposition présentait une série de dessins de figures dans diverses postures. Cette série est une étude du mouvement qui traduit des photographies prises par l’artiste. Lors des séances photo pour ces études, l’artiste a invité des femmes noires à venir dans son studio et à improviser des mouvements, capturant leurs gestes avec des photographies à longue exposition, ce qui a donné lieu à des physiques cinétiques et déliés.

En s’approchant des œuvres, on distingue des écrits qui traversent les thèmes tels que la danse, la diaspora africaine, la notion musicale, la littérature, les hiéroglyphes égyptiens et la physique théorique, invoquant les voix directrices de la chorégraphe Katherine Dunham, de la compositrice Florence B. Price, de la théoricienne Saidiya Hartman, de l’écrivaine Toni Morrison et du physicien Carlo Rovelli. Des portions de l’essai de Davis émergent, détaillant les carrières extraordinaires de Katherine Dunham et de Florence B. Price, deux créatrices noires pionnières du vingtième siècle qui ont utilisé l’art pour poursuivre la métamorphose individuelle et sociétale. En tant que chorégraphe, Dunham a infusé la danse avec son bagage en anthropologie, utilisant son corps comme véhicule pour exprimer des idées radicales sur l’espace, le temps et la diaspora. En tant que première musicienne noire à composer pour un orchestre symphonique national, Price a arrangé de la musique pour naviguer entre les états d’instabilité, de transition et de liberté, comme dans sa pièce redécouverte Clouds.

L’autre série présentée est un groupe de douze dessins basés sur des instantanés de nuages pris par Davis. En utilisant le nuage comme muse symbolique pour la chorégraphie et la composition, elle considère la formation naturelle à travers le prisme de la physique quantique. En tant que masse ondulante composée de particules atomiques, un nuage oscille entre les états solide, liquide et gazeux, un élément qui fluctue entre le micro et le macro. S’inspirant des écrits de Rovelli sur la relativité du temps, les compositions de Davis encouragent son public à remettre en question les systèmes de l’art, de la science, de la philosophie, de l’histoire, de la race et du genre auxquels la signification est attribuée et non inhérente. Accueillant des observations changeantes et des pensées évolutives, son texte et ses images rejettent une lecture explicite.

Bien que composés sur une page plate, ses dessins apparaissent comme texturés et en relief en raison des lettres dactylographiées gravées sur la feuille, rendant ainsi un effet de profondeur. Afin d’obtenir ce résultat, Davis organise le texte dans une nouvelle formation pour mettre en valeur différents passages, incisant les passages sculpturaux dans une plaque de polymère, puis les embossant (technique pour créer des formes en relief dans du papier ou autre matériau déformable) sur du papier avec une presse à gravure. Elle trace chaque parchemin avec une grille, rendant la photographie section par section, en utilisant des crayons de charbon aiguisés pour les œuvres de portraits et des pigments d’indigo en poudre pour les œuvres de nuages. Avec une main précise et méticuleuse, elle crée une surface qui ressemble à une estampe ancienne, soulignant comment les ombres claires et sombres révèlent, plutôt que de dissimuler, des idées essentielles dans son essai. À travers la mise au point floue du corps et les bords doux du nuage, Davis équilibre le rigide avec le fluide ; le cadre et la grille de chacun servent de systèmes structurés où les corps physiques et météorologiques se déplacent librement.

Finalement, Kenturah Davis est une artiste innovante qui fusionne le texte et l’image, le plat et le relief pour créer des œuvres puissantes et réfléchies.


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