Edward Burtynsky : Ces paysages dévastés qui sont pourtant d’une beauté saisissante

Mon coup de cœur du mois d’avril est le photographe ukrainien/canadien Edward Burtynsky, vivant et travaillant au Canada. C’est lors de son exposition « Burtynsky : extraction/abstraction » à la Saatchi Gallery de Londres que j’ai eu l’occasion de le découvrir et dont je vous donne un petit aperçu de son travail.

Cette exposition présente des photographies grand format ainsi que treize fresques haute résolution ressemblant à des peintures abstraites. Il s’agit, en réalité, de véritables paysages mais altérés. L’ensemble de ces photographies révèle l’observation de Burtynsky, durant toute sa vie, sur l’incursion de l’humanité dans le monde naturel et les conséquences environnementales des processus industriels.

Ainsi, Edward Burtynsky consacre sa pratique à témoigner de l’impact de l’industrie humaine sur la planète et par conséquent, les transformations et déformations imposées aux paysages naturels. Mais qu’entendons-nous par industrie humaine ? Il s’agit d’un ensemble d’activités qui produit des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières. Pour cela, il faut donc cultiver, extraire, cette matière première dans la nature et c’est ce premier processus que Burtynsky tente, entre autre, de capturer, de la pierre aux minéraux, du pétrole au silicium, le transport des matières vers les usines, etc. L’artiste joue avec les détails et les grandeurs d’échelle. En effet, ses photographies sont des plans larges aériens de paysages, avec un angle de point de vue en plongée voire en plongée zénithal. Les photographies sont de plus en plus abstraites en raison de la perspective topographique et de la fascination de l’artiste pour trouver des similitudes entre le paysage industrialisé et la peinture.

Selon les propos de l’artiste, « les centres de recyclage, les résidus de mines, les carrières et les raffineries sont tous des lieux en dehors de notre expérience normale, et pourtant nous bénéficions de leur production au quotidien ».

Dans son travail, on peut y voir un paradoxe. D’un côté, plutôt négatif, les ravages de l’activité humaine infligés à Mère-Nature et de l’autre côté, plus positif, une certaine beauté visuelle rendue par ces activités. Lignes courbes ou droites, crevasses, cercles, trous, flaques, champs grillagés, monticules sont autant de formes différentes qui se dessinent sur la surface de la planète en des œuvres abstraites hybrides, mi-naturelles, mi-artificielles. Ainsi, sont mis en avant les marques indélébiles laissées par l’humanité sur la face géologique de la planète. Certaines images laissent également apparaître des traces calligraphiques des véhicules faisant référence à cette activité humaine.

Ces images sont conçues comme des métaphores du dilemme de notre existence moderne ; elles cherchent à établir un dialogue entre attraction et répulsion, séduction et peur. Nous sommes attirés par le désir – la chance de bien vivre, et pourtant nous sommes consciemment ou inconsciemment conscients que le monde souffre de notre succès. Notre dépendance à la nature pour fournir les matériaux de notre consommation et notre souci de la santé de notre planète nous placent dans une contradiction inconfortable.

Les photographies peuvent être catégorisées selon les éléments, les minéraux ou encore les régions du monde. L’élément de l’eau est sans doute l’un des plus gros sujets représentés dans le travail de Burtynsky.

Dans certaines photographies, apparaissent des paysages où l’eau est rare ou à jamais compromise, devenus des déserts. On y trouve des incursions à grande échelle imposées à la Terre pour exploiter et détourner la puissance de l’eau via des anciens puits à degrés en Inde, des canaux modernes et des barrages hydroélectriques. En essayant de satisfaire les besoins croissants d’une civilisation en expansion et très assoiffée, l’humain transforme la Terre de manière colossale. Dans ce nouveau rôle puissant sur la planète, nous sommes également capables de provoquer notre propre perte.

Enfin, les montagnes contenant des glaciers et de la neige sont les premiers paysages, en plus de trente ans, que Burtynsky a photographié en se concentrant spécifiquement sur la nature sauvage intacte, au lieu de l’imposition de l’activité humaine sur celle-ci.

Nickel Tailings #34, Sudbury, Ontario, 1996

Cette photographie révèle les conséquences environnementales de l’extraction et de la fusion des métaux. Sous un ciel gris et frais, sur un arrière-plan hivernal sombre d’arbres lointains, une rivière orange brillante serpente vers la caméra, au milieu d’un paysage brun profond. Les couleurs saisissantes sont celles que nous voyons lorsque la lave s’écoule d’un volcan en éruption, ce qui explique peut-être pourquoi nous associons immédiatement cette image à une catastrophe naturelle. En réalité, les rouges et oranges intenses sont causés par l’oxydation du fer qui reste dans le processus de séparation du nickel et d’autres métaux du minerai.

Avec ces couleurs saisissantes parfois juxtaposées entre-elles, nous pourrions nous demander si Burtynsky a d’une manière ou d’une autre retouché les couleurs de ses photographies par quelque tour de magie numérique. Mais dans la perspective plus large qu’offre une exposition rétrospective, nous pouvons voir clairement qu’il ne se livre pas à des manipulations esthétiques pour le plaisir, ni même pour un effet émotionnel. Par exemple, Burtynsky veut que nous éprouvions le choc de voir comme un fait un ruisseau orange vif couler à travers un paysage dépouillé.

Je vous encourage à aller voir sur le site de l’artiste d’autres photographies qui sont vraiment impressionnantes. Vous pourrez ainsi constater la variété de ces paysages hybrides.


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